🕸️CHAPITRE 12🕸️

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L'orage n'avait point faibli et la pluie continuait de se fracasser contre les fenêtres fragilisées de la demeure tandis que Margarette demeurait assise dans son fauteuil, perdue dans ses pensées, ressassant l'expérience qu'elle venait de vivre. Elle qui se pensait plus intelligente que la norme des gens qu'elle avait fréquentés jusqu'à présent, était là, remettant en question sa propre raison et sa propre capacité de réflexion. Elle avait ouvert tous les livres qu'elle pouvait posséder sur la folie ou sur les maladies mentales et les avaient laissés grands ouverts sur son bureau, cherchant entre ces pages jaunies par le temps, un semblant de réponse. Mais des réponses pour quoi exactement ? Se sentait-elle malade ? Se pensait-elle folle ou bien se savait-elle glissée progressivement sur une dangereuse pente ?

Elle n'était certaine que d'une chose et c'était le fait qu'il y avait quelque chose d'étrangement anormal avec cet endroit.

Mais ça, elle le savait déjà. Elle le savait même depuis longtemps. N'était-ce pas pour cela qu'elle avait fait tout ceci ? N'était-ce pas pour avoir son nom sur l'acte notarié qu'elle avait commis la pire des atrocités ? Elle savait que le manoir renfermait plus d'un secret et que ces mêmes secrets servaient de voile contre la vérité.

La terrible et troublante vérité.

— Vous paraissez préoccupée.

La voix d'Ethan bondit au milieu de la tempête et lui rappela qu'il y avait, mis à part elle-même, d'autres âmes en ces lieux maudits. Il se tenait là, près du seuil, la regardant comme s'il l'observait ou qu'il la décortiquait. Il se tenait là, au milieu d'un couloir sombre, attendant très probablement qu'elle le remarque, mais...

— Béatrice m'a dit que je pouvais vous trouver ici, finit-il par dire comme s'il essayait de justifier sa présence.

— Me cherchiez-vous ? J'avais cru comprendre que vous passeriez la journée dehors, lui répondit-elle sans plus d'intérêt.

— Avec un temps pareil ? Je ne suis pas homme à fuir devant la première pluie, mais je ne suis pas fou non plus. Attraper une pneumonie n'est pas vraiment dans mes projets pour le moment.

— Dans ce cas, quels sont vos projets ?

Margarette savait, avant même de poser sa question, qu'Ethan ne lui répondrait pas. Il aimait, pour des raisons qui lui furent propres, préserver tout le mystère de sa venue et de ses aléas en ville.

— Vous savez, plus le temps passe et plus j'ai l'impression que vous apprenez à me connaître, mais que le cas contraire... énonça Margarette en refermant ses livres médicaux.

— Est-ce que je vous intrigue ? s'en réjouit-il en s'avançant dans la pièce.

— Disons que je n'ai pas énormément d'affinités pour les secrets et les mystères, Monsieur.

— C'est bien dommage. C'est bien la seule chose qui permet à une relation de durer, n'êtes-vous pas de mon avis ? Si vous saviez tout de moi, vous vous lasseriez et vous me jetteriez dehors.

— Qui vous dit que vos petites cachotteries ne me suffisent pas déjà comme motivation ?

— Vous êtes une femme intelligente, Margarette. C'est un trait séduisant. Si vous vouliez tant me mettre à la rue, vous l'auriez déjà fait. Mais nous voilà. Vous et moi, dans la même pièce et se tenant sous le même toit. Vous me gardez volontairement près de vous afin de découvrir ce que je fabrique, s'en amusa-t-il.

Il avait cette horripilante façon d'avoir très souvent raison qui ne plaisait pas à Margarette et pourtant... Elle savait que si Ethan disparaissait de son champ de vision, alors elle n'aurait plus aucun moyen de le tenir à l'œil, chose qu'elle avait appris à apprécier. Outre la maison, Margarette savait qu'un autre grand mystère planait dans sa vie et celui-ci portait le doux nom d'Ethan Gainsbourg.

— Vous ne manquez pas de...

— D'orgueil ? la coupa-t-il, je vous l'ai dit : quand on se retrouve dans ma situation, on se rend compte que peu de choses comptent tout compte fait et que tous les moyens sont bons. Du moment que je peux vivre un autre jour... Tout me va.

— Donc vous en êtes arrivé à un stade où votre vie s'en retrouve menacée, constata Margarette.

Et son silence fut plus éloquent que jamais.

— Êtes-vous un criminel, Ethan ? lui demanda-t-elle sans prendre plus de pincettes.

— Et vous ? En êtes-vous une ? J'ai ouï-dire que votre défunt mari avait rencontré une fin plutôt... abrupte.

— Vous savez sans doute ce que c'est : la maladie n'épargne personne. Elle ne fait aucune différence peu importe l'âge, la richesse ou l'état d'âme. En outre, c'est le Seigneur lui-même qui a décidé de rappeler mon époux à ses côtés, je n'ai eu aucun rôle à jouer là-dedans. Après tout, qui serais-je dans le cas contraire pour m'octroyer un droit de vie ou de mort sur une autre personne ? Cela ne ferait-il pas de moi...

— Un monstre ? releva le jeune homme.

Il y eut un bref silence de quelques secondes, à peine perceptible et pourtant, ce fut dans ce calme plat, que Margarette et Ethan comprirent. Ou plutôt, que l'un comme l'autre réalisa.

— Vous avez raison : il n'y a que Dieu pour décider d'une telle manœuvre, reprit Ethan dans un sourire, Qui serions-nous pour nous octroyer un tel pouvoir ?

C'est au "nous" et dans son sourire narquois que Margarette vit ses premiers indices s'éclairer. Elle y pensait depuis le premier jour et bien après celui-ci. L'idée l'avait traversée, mais elle avait trouvé la coïncidence affreusement ridicule et pourtant... Et pourtant, il se pourrait bien qu'Ethan Gainsbourg et elle aient finalement bien plus d'un point commun.

— Que se passe-t-il ? Vous semblez soudainement un petit peu pâle ? s'inquiéta-t-il en tentant une nouvelle approche.

— Vous avez parlé de "pouvoir" quand j'ai parlé de "droit", lança Margarette.

— Et donc ? s'étonna Ethan en ne comprenant pas où elle voulait en venir.

— Vous avez une bien étrange vision d'ensemble.

— Vraiment ? Cela vous choque-t-il ? Et moi qui pensais naïvement qu'il vous en fallait un petit peu plus... Vous continuez à me surprendre. Vous l'avez sans doute compris Margarette, mais je ne suis pas un homme de foi. Je ne suis rien de moins qu'un homme. Mortel. Emplis de vices. De pêchés. Et autant je veux bien entendre que vous remettiez votre vie ou le sort de celle-ci entre les mains d'une puissance supérieure, autant... Je ne partage pas vos croyances. Mes croyances à moi reposent sur le fait d'être suffisamment débrouillard pour entrapercevoir une nouvelle fois la lueur du jour. C'est aussi simple que cela. Mais peut-être est-ce un concept bien trop simplet pour vous ?

Ethan qui s'était toujours montré si doux, si attentionné, si bienveillant avec elle se montra soudainement plus virulent. Comme piqué. Comme... Oui, comme un animal blessé se sentant acculé. Menacé.

— Ne me dites pas que je vous effraie à présent ? Pourtant, je ne vous ai encore rien fait. Allez-vous me condamner parce que je vous ai fait un aveu de faiblesse ? Cela vous surprend-t-il que je ne sois rien de moins qu'un homme ? Ou bien êtes-vous venue, ce jour-là, sur les quais dans l'espoir et l'attente d'un héros ?

Margarette rit à son tour. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas entendu de pareilles sottises et qu'elle n'avait pas eu une conversation aussi lunaire.

— Mais qui vous dit que j'ai besoin d'un héros ou que j'ai besoin que l'on me sauve ? Ce genre de chose, je sais très bien le faire toute seule, croyez-moi. Je n'en suis pas à mon coup d'essai.

Le manoir de CastelrocOù les histoires vivent. Découvrez maintenant