1.2 Mauvaise surprise

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Samantha

Merde, c'est bien ma veine. Cependant, repartir au volant de ce Duster reste mon objectif et cet imprévu supplémentaire ne doit pas entrer en ligne de compte.

— Il me comprend au moins ? questionné-je le loueur.

L'expression mécontente du jeune homme me transperce. Ma subtilité légendaire attire déjà les foudres de celui que je veux amadouer et je suis décidément très mal engagée.

J'espère intérieurement que la luminosité ambiante camoufle la teinte rougeâtre que prennent mes joues. Je baisse le regard pour reprendre mon courage à deux mains en fuyant ses pupilles pénétrantes et aborder le sujet épineux.

— Il y a eu un souci dans les locations. Je me retrouve sans véhicule alors que j'avais réservé celui avec lequel vous êtes sur le point de partir.

Imperturbable, mon interlocuteur me scrute, les bras croisés sur le buste, attendant la suite de mon explication. De sa hauteur, je me sens minuscule. Son torse imposant m'impressionne et je redouble de volonté pour aller au bout de ma démarche.

Je m'agite d'un pied sur l'autre, triturant mes mains.

Allez, tu peux le faire.

— J'ai vraiment besoin de cette voiture. Je ne reste que quelques jours ici, je ne peux pas gaspiller le peu de temps que j'ai. Alors je me disais que...

Son regard s'assombrit tandis que son visage fermé m'en fait perdre mes mots. Je détourne les yeux une nouvelle fois, tournant la langue entre mes dents pour formuler correctement ma demande.

D'un geste du menton, il m'invite à poursuivre.

— Je me disais que vous pourriez peut-être attendre qu'une autre location revienne ?

Un ricanement sort de ses lèvres, déclenchant de la chair de poule sur mon épiderme. Je me risque à lui faire face, relevant la tête. Ses fossettes se creusent dans ses joues encadrées par une mâchoire carrée, rasée de prêt. Sa bouche s'étire avec grâce et happe mes iris qui s'attardent un peu trop sur ses mouvements. Dans son regard luit une hilarité qui se reflète également dans ses traits. Sa colère s'est envolée, remplacée par l'absurdité de la situation.

Je me balance d'avant en arrière en attendant une réponse de sa part. Du moins, patientant pour avoir un autre retour que de la moquerie à mon égard.

— Madame, vous ne pouvez pas demander une chose pareille, intervient le loueur.

— Oh vous, je ne vous ai pas sonné. Vous avez annulé ma location sans mon autorisation. La bourde vient de vous, alors s'il vous plaît, avec toute la politesse dont je fais preuve, je vous somme de vous taire.

La bouche de l'employé s'entrouvre avant de se fermer, ne trouvant pas les mots appropriés.

Les yeux du jeune châtain naviguent entre l'homme qui a pris une couleur cramoisie et moi, à la recherche d'une explication pour une telle situation.

— Ne me demandez pas comment c'est possible, mais je ne vous mens pas, tenez, regardez par vous-même, j'ai bien réservé un véhicule pour ces dates, mais ils n'en ont aucun à me donner. Annulé, paraît-il, il y a deux heures, alors même que j'étais dans l'avion ! réponds-je à sa question silencieuse en lui fourrant mon papier entre les mains.

Le contact de mes doigts sur ses phalanges déclenche un picotement qui me parcourt jusque dans la colonne vertébrale. Comme une décharge électrique, je me retire rapidement de ce rapprochement inapproprié. C'est la première fois que mon corps a une telle réaction. Intrigante, voire perturbante, mais à la fois plaisante. Que m'arrive-t-il ? L'a-t-il ressenti, lui aussi, cette électricité ?

Ses pupilles me sondent avant de se poser sur le document. Il déchiffre l'écriture tapuscrite avec intensité. Le pouce sur un côté du menton, il gratte de ses autres doigts le bas de sa joue. Le bruit de ses ongles sur la repousse quasi inexistante de sa barbe parvient à mes oreilles tandis que sa langue claque de son palais. Perdu dans sa propre réflexion, je n'ose plus bouger de peur de le perturber. Alors, j'observe à la dérobée la beauté qu'incarne l'homme devant moi.

Après de longues minutes d'analyse, le loueur gesticule avant de tendre le trousseau devant le nez de son client.

— Si tout est OK pour vous, je vous laisse le jeu de clés. Vous pouvez y aller.

Ma mâchoire se décroche d'incrédulité.

— Et moi alors ? pesté-je à son attention. Tout est de votre faute !

Je sens ma patience fuir, mes yeux se remplissent de liquide que je tente vainement de contrôler. Je ne dois pas flancher. Je suis venue ici avec la ferme intention de me nourrir des paysages magiques de ce pays et aucun obstacle ne m'arrêtera. Pourtant, le désespoir s'empare de mon être, entraînant le tremblement de mes jambes. Les bras ballants, j'inspire profondément en fermant les paupières d'où s'échappent les deux seules larmes que je m'autorise.

Ma fierté en prend un coup, mais je ne capitulerai pas devant l'échec. Demain, je me relèverai. La tête haute, je jure à l'employé que ma mauvaise pub sera cinglante et quitte l'enseigne sans un regard en arrière. Personne ne me rattrape et tout espoir se volatilise lorsque le bruit d'un moteur me fait tressaillir. Mes dents s'entrechoquent sous la colère. L'inconnu canon n'a pas cédé. Je n'ai plus qu'à me trouver un hôtel, priant pour qu'un accueil soit ouvert.

Déçue que cette courte aventure estivale commence ainsi, je regagne néanmoins la route, mes pieds pour seul moyen de transport. Est-ce le karma qui me joue un tour après mon mauvais coup à Evan ? Lui faire croire que j'acceptais enfin une discussion avec lui et en profiter pour me rendre seule à l'aéroport était un pari risqué mais jouissif de le constater gagnant. Tout était calculé. Un vieux téléphone avec ma carte SIM abandonnée pour qu'il puisse le localiser devait lui prouver ma bonne foi. C'était mal me connaître. Munie d'un nouveau numéro, il n'a aucun moyen de me contacter et je suis désormais tranquille durant un moment à des milliers de kilomètres.

Néanmoins, tout ne roule pas encore sur des roulettes. J'avance dans la pénombre, le nez au creux de mon écharpe, à la recherche d'une pancarte lumineuse annonçant un endroit où dormir. Plusieurs se distinguent au loin et je progresse dans leur direction. Quelques minutes s'écoulent avant qu'une voiture ne s'arrête à ma hauteur.

Génial ! Voilà qu'il va me narguer avec ses yeux perçants et sa gueule de beau mec. Ah, mais non ! Aucun son ne sort de sa jolie bouche, que suis-je bête !

Et je regrette instantanément ses pensées mesquines : il n'y est pour rien. Ma rancœur me submerge, faisant ressortir le pire de moi-même.

Iceland dreamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant