12.2 Au soleil couchant

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Samantha

D'abord sceptique, je réalise finalement prendre plaisir à déverser mes pensées. Un rien aura suffi à me lancer et j'ai du mal à m'arrêter. Jusqu'où dois-je laisser parler ma rancœur ? Accepterais-je de montrer ce méli-mélo de phrases désordonnées à Noa ? D'un côté, je suis bien plus à l'aise avec l'idée qu'il apprenne mon histoire par écrit que de vive voix. Les mots risqueraient de se coincer dans ma gorge, tant je suis encore à fleur de peau.

L: Je devais faire ce voyage avec mon futur mari jusqu'à ce que je le découvre en plein ébat avec sa secrétaire. Alors j'ai fui, le laissant en France. Il ne tolère pas que je parte alors il se venge. D'où l'annulation de la voiture et du billet d'avion, la carte bloquée. Tout ça, ce sont des moyens de pression pour que je revienne. Mais ça n'arrivera pas. J'ai pris conscience de bien trop de choses depuis notre séparation. Il me voulait à son image. Je ne me veux plus qu'à la mienne. Celle que j'ai décidé que je serais, celle que je suis réellement. Sans filtre, sans sacrifice. Je me sens revivre, je m'étais oubliée. Égarée.

Ma tête tombe en arrière, je ferme les yeux. Pas une seule larme ne doit s'en échapper. Non, plus aucune. Je cède finalement le calepin à Noa qui inspecte avec sérieux mes lignes. J'entends sa respiration se modifier. Il déglutit. La mâchoire crispée, j'attends une réponse qui ne vient pas. Du moins, pas une orale. Il griffonne à son tour.

N: Je n'ai jamais connu de relation sérieuse alors je ne peux pas te dire que je comprends ce que tu ressens. Mais je peux l'imaginer. Sache seulement qu'il ne faut changer pour personne. Si l'amour doit s'installer, alors c'est sur les bases d'un existant, pas sur des hypothèses de ce qui pourrait être.

Un dialogue écrit naît entre nous.

L: Tu aimerais vivre une relation sérieuse ?

Je ne réalise l'impact de ma question qu'une fois que les yeux de Noa l'ont parcouru. Il me regarde un instant, perdu dans ses pensées. Est-ce que mon subconscient vient de l'inviter à envisager notre relation comme quelque chose qui pourrait perdurer à notre retour ? Assurément. Est-ce ce que je souhaite ? Peut-être pas. Ma vie est dans un tel état que me replonger dans une histoire d'amour n'est pas ce qu'il y a de plus raisonnable.

N: Bonne question, je ne sais pas. Je me laisse porter. Tu ne parles jamais de ta famille, que pense-t-elle de tout ça ?

Je me mords l'intérieur des joues lorsque je découvre sa dernière question. Écrire nos peines et nos tourments, c'était ça le programme ? Il n'aurait pas pu toucher plus juste avec ces deux sujets sensibles.

D'une main tremblante, je déverse une autre vérité qui me ronge.

L: Je n'ai que peu de contact avec eux. À vrai dire, ils n'aiment pas du tout Evan. Tout est allé trop vite pour eux. Je me suis éloignée d'eux en partie à cause de lui. Aujourd'hui, je prends conscience qu'ils ne voulaient que mon bien. Je regrette.

N: Tu peux toujours les recontacter ? La famille c'est précieux.

L: Surement. Mais cela voudrait dire mettre ma fierté de côté.

N: Il vaut mieux ça que de ne jamais le faire et qu'il soit trop tard. La fierté, je connais. Je suis incapable de la mettre de côté actuellement. Pourtant, je sais que je vais m'en mordre les doigts. Mais d'un autre côté, si je le fais c'est pour ma famille, pour mon frère. Alors je prends le risque, en espérant qu'on comprendra pourquoi je le fais.

Sa dernière phrase me laisse pensive. Que peut-il bien cacher qui le ronge actuellement ? Pourquoi n'écrit-il pas ce secret pour s'alléger l'esprit ?

Finalement, Noa me reprend le calepin des mains et se lève d'un bond. Il me désigne la mer d'un signe de tête et je comprends. Je comprends que nos confidences s'arrêtent ici. Je le rejoins et d'un geste commun, nous lançons l'objet dans l'eau. Les vagues le rapportent vers le sable avant de l'emporter de nouveau avec lui. Je l'observe danser au rythme du courant. J'imagine l'encre se dissoudre dans la mer, allégeant au passage mes peines et emportant mes tourments. J'inspire l'air à pleins poumons tandis que je suis traversée de frissons. Noa pose son bras sur mon épaule pour me serrer contre lui. Sa chaleur se répand en moi au contact de ses lèvres sur ma tempe. Je profite du sentiment de bien être qui m'envahit. Nous échangeons un regard complice. Compréhensif.

— C'était une bonne idée.

Il acquiesce.

— On sera plus serein, plus apaisé.

Je capte une dernière fois son regard voilé, avant de conclure:

— Enfin... je crois.

Je n'ose plus parler, ne souhaitant plus briser cet instant d'échanges silencieux.

Le jeu de va et vient dans l'eau dure un certain temps,. avant que le cahier ne s'échoue inévitablement sur le rivage.

Je m'accroupis devant lui, hésitante. Puis je saisis notre journal intime désormais illisible et l'emporte avec nous jusque dans notre voiture.

Iceland dreamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant