Chapitre 4

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Carmen

6h20, mon réveil sonne. Souvent je me dis que le système scolaire actuel est destiné à nous tuer à petit feu. Se lever à 6 heures 5 jours sur 7, parfois même le samedi, pour travailler toute la journée et se rentrer une quantité inhumaine d'informations dans le cerveau, alors qu'on sait pertinemment qu'on en aura oublié 90% d'ici deux ans... Ça semble si absurde, dit comme ça, surement parce que ça l'est.

Avec mes quatre heures de sommeil dans le sang, je commence à me préparer. La routine, quoi. Je m'observe dans le miroir avant de me maquiller. Mes cernes sont énormes, vues d'ici. Mon corps s'affaiblit de jour en jour. Je me demande si ce n'est pas le retour d'une sorte de dépression. J'en ai fait une, il y a deux ans; la pire période de ma vie, qui a été le début de mes troubles alimentaires. À ce moment là, j'étais encore au collège, je n'étais pas autant aimée et extravertie qu'aujourd'hui. J'avais si peu d'amis, et lorsque j'ai perdu les deux seules que j'avais, mon monde a arrêté de tourner. Je ne sortais plus, à part pour aller en cours, je prenais une douche hebdomadaire et restais au lit toute la journée. Ma chambre était un dépotoir. Soit je me goinfrais de malbouffe, soit je me restreignais de manger des vrais repas. À certaines périodes, je ne dormais quasiment pas à cause des angoisses qui me rongeaient, à d'autres périodes, souvent pendant les vacances, je dormais douze heures par nuit. Pour moi, aucune porte de sortie n'existait; je n'ai jamais tenté de mettre fin à mes jours, mais je sais que j'y ai pensé de nombreuses fois. Je savais cependant que je ne pouvais pas faire ça à mes parents, c'était trop cruel.
Mais la pire trace de ma dépression, c'est un secret bien gardé par moi et mon miroir. C'est un regret éternel, mais à certains moments, la moi de 14 ans pensait que se couper la peau des cuisses résoudrait le problème. J'ai pensé que cela rendrait légitime ma souffrance, car je n'avais pas de quoi me plaindre dans ma
vie. Alors que si j'avais des scarifications, j'avais le permission d'aller mal. C'est ridicule, quand on le transpose de cette manière. Peut-être qu'une partie de moi voulait qu'on les voie, que mes parents voient, que le monde voie ce qui n'allait pas, car je ne savais pas l'exprimer autrement. Il me reste quelques cicatrices à cet endroit là. Je sais qu'elles seront parties dans un ou deux ans, elles sont très peu visibles, mais c'est une sorte de honte que j'emporterais au fond de ma tombe.
En ce qui concerne ma situation actuelle, j'ai conscience que ça ne redeviendra pas aussi grave. Mais je remarque certains symptômes qui reviennent, et j'ai surtout peur que cela affecte mes relations et mes résultats scolaires. Quoiqu'il en soit, je vais tenter au maximum de tenir jusqu'à la fin de l'année, histoire de bien réussir mon bac de français.

Alors que la sonnerie retentit, je souhaite bon courage à Clémence pour son évaluation de physique, puis je me dirige vers la salle où j'ai cours de sciences économiques et sociales. Je pense au fait que Judith est dans le même groupe que moi pour cette spécialité, et mon cœur bat un peu plus vite. J'ai déjà noué des amitiés rapidement, mais celle-ci est particulière. Je n'ai pas eu l'impression de devoir jouer un rôle ou de devoir exagérer ma personnalité pour plaire. Quand j'y pense, c'est drôle cette société dans laquelle chaque individu doit jouer un rôle pour rentrer dans des cases et pouvoir s'intégrer. Dès que tu fais ou dis quelque chose qui s'éloigne un peu des codes sociaux, t'es perçu comme gênant ou étrange. Avec elle, j'ai l'impression que si je disais quelque chose de bizarre, elle renchérirait avec quelque chose d'encore plus bizarre et on rigolerait.
J'entre dans la salle et l'aperçoit assise au fond, comme souvent. Eva, ma voisine habituelle, n'est pas présente aujourd'hui. Drôle de coïncidence. Ou peut-être un signe de l'univers, qui sait? Judith croise mon regard et me fait un sourire timide. Je me dirige vers sa table, elle désigne la chaise vide à côté d'elle en m'invitant à s'assoir.
« Tu sais que t'assoir à une table un peu plus proche du tableau ne va pas te tuer, si? je lui lance sur un ton sarcastique.
- Peut-être bien que si, renchérit-elle sur un ton encore plus sarcastique. Techniquement, si un terroriste entre dans la classe, ici, je serais la dernière dans son viseur.
- En attendant, on est pas aux States. Et malgré mes lentilles, les écritures au tableau sont illisibles d'ici pour moi. Alors choisis; moi ou ta peur irrationnelle des terroristes. »
Elle rigole et prend ses affaires, puis on s'assoit à une table deux rangs plus avancés.

Let the light in (wlw)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant