Partie 1

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Le vent autour de moi portait en lui une forte fragrance d'hémoglobine.

Je me tenais sur le point culminant de ce champ de bataille, observant non pas les terrains gagnés comme tout amiral, mais les pertes que mon équipe et celles de mes pairs avaient endurées.

A ma taille, plus précisément à ma ceinture, le poids presque insoutenable de cette arme responsable de tant de sang versé pendait, me menaçant de m'attirer vers le bas. Vers le sol. Vers les enfers.

Pourtant, mes pieds solidement ancrés dans la terre rougeâtre gardaient d'une main de maître mes jambes aussi droites qu'elles ne le seraient jamais plus. Mes paupières, quant à elles, refusaient de se clore, me forçant à observer ce funeste spectacle inanimé.

Quand du mouvement se fit entendre à mes côtés, mon port de tête s'ajusta, adoptant une posture professionnelle avant que mes jambes ne me conduisent d'elles-mêmes au lieu de l'incident.

— Que se passe-t-il ? m'entendis-je demander d'une voix grave.

Le monde se figea devant moi. Au milieu des soldats blessés, un homme, bien trop meurtri pour que je puisse le supporter, était allongé. Le sang en masse couvrait son visage et ses membres flasques reposaient mollement autour de son corps.

— Que se passe-t-il ? répétai-je d'une voix plus autoritaire.

Un de mes hommes s'avança vers moi. Il s'agissait de mon bras droit et meilleur ami, Kim Seokjin. Mais, sur le terrain, il n'était rien d'autres qu'un homme sous mes ordres, ce fut pourquoi il prit une posture respectueuse.

— Un espion du camp ennemi, monsieur.

Voilà qui n'était pas joli à entendre.

— Que devons-nous faire de lui, monsieur ? poursuivit-il.

— Vous, rien. Allez vous reposer. Je m'en charge.

Et tous désertèrent.

Je me retrouvais seul devant cette figure défigurée.

Il n'y aurait pas de morts supplémentaires aujourd'hui, quoique cela m'en coûte.

L'homme, si je me fiais au qualificatif qu'avait utilisé Seokjin pour le désigner, était étendu sur le ventre. Une plaie béante était visible au niveau de ses côtes droites.

Il allait mourir si je ne faisais rien.

Je me dépêchais et fus à ses côtés en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire.

Quand j'inspirai, seule une odeur métallique entrait dans mes narines, faisant remonter dans mes tripes un acide désagréable. Je relevais alors mon col roulé sur le nez et soulevais le jeune homme dans mes bras.

Je marchais tout en faisant des grands pas vers les tranchées. Là où mes hommes se reposaient et me rendis dans ma chambre avant de poser ce corps presque inerte sur le lit.

Il lui fallait des soins.

Je rinçais mes mains pleine du sang de cet inconnu sous le jet du lavabo. Le travail n'avait pas été parfaitement exécuté, bien que le désinfectant ne manquait pas, l'opéré ne coopérait pas, dû au manque d'antidouleurs.

Mais au moins, il était hors de danger, maintenant.

Je levais les yeux pour observer mon visage dans la glace. Mes pupilles brunes manquaient d'éclats et d'opacité tandis que mes cernes profonds renforçaient leur aspect terne et vide.

J'étais fatigué.

Je passais mes mains, que je venais tout juste de frotter contre un torchon prévu à cet effet, sur mon visage. Je sentais chaque ridule qui apparaitrait, chaque grain, chaque marque de sécheresse.

Accord TaciteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant