Chapitre 1 - Un accueil imprévu

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— La voilà enfin !

Madame D'Allaincourt se dresse sur le perron de l'entrée principale du château, droite comme un piquet.

Le domestique qui lui maintient une ombrelle au-dessus de la tête n'arrive pas à savoir si le ton de son interjection reflète son impatience ou son agacement, alors il se contente de rester immobile, guettant le moindre mouvement de déplacement de la comtesse.

La voiture poussiéreuse s'arrête en bas du grand escalier et un valet de pied se précipite pour déployer le marchepied et ouvre la portière.

— Mon enfant ! s'exclame la comtesse avec un léger tremolo dans la voix.

Solène descend tant bien que mal de son attelage en maintenant sa capeline. Elle remercie au passage le laquais qui ne peut s'empêcher de sourire béatement devant cette jeune femme au visage si doux.

— Ma chère tante, comme je suis heureuse de vous voir. Solène se hâte en haut des marches pour enlacer la sœur de son père.

— Allons, allons jeune fille, l'arrête immédiatement la dame en plaçant sa main devant elle comme pour lui faire barrage. Malgré le fait que je puis vous assurer de ma grande joie de vous accueillir, la première règle que je dois vous enseigner est que les ... embrassades ... ne sont pas des façons de faire.

— Oh ma tante ! Même lorsque que votre nièce à l'immense bonheur de revoir sa chère et adorable tante après une si longue absence. Solène utilise de son charme naturel qui lui permet de décrocher un sourire, à peine perceptible, mais bien réel de son hôtesse.

— J'espère que votre voyage s'est bien passé, reprend Madame d'Allainville en défroissant sa robe qui ne l'était pas du tout. Vous devez être éreintée par votre voyage et avez probablement besoin de vous rafraichir. Alfred va porter vos bagages dans votre chambre. Je vous ai installé dans l'aile droite, vous verrez, le lever du soleil illuminera vos réveils.

— Le voyage était bien long en effet, mais j'avais heureusement prévu de quoi me divertir, répond Solène, enjouée, en sortant un livre de sa bourse en velours rose.

— Quelle jolie façon de passer le temps en effet, un recueil de poèmes sans doute ? s'extasie sa tante.

— Pas du tout, même si je les aime aussi beaucoup. Il s'agit du Traité élémentaire de l'art des accouchements du Docteur Velpeau.

Madame D'Allaincourt vacille et pose une main sur sa gorge en laissant exprimer un gémissement. Le domestique la maintient par le bras même si il a bien compris que sa tentative d'évanouissement n'est qu'une comédie.

— Ma tante, vous connaissez mes ambitions. Ne soyez pas si horrifiée. Ce type de lecture est tout à fait honorable quand on sait le nombre de vies que nous pourrions sauver, si nous connaissions mieux l'anatomie des mères et des enfants.

La comtesse reste béate devant les dires de sa nièce qui reprend,

— Mais je sais également que je suis ici pour que vous, ma tante, m'enseignez les bonnes manières des femmes de la société. Et cela assurément, je ne l'apprendrais pas dans les livres.

— Assurément mon enfant !

Malgré quelques lacunes en matière de relations sociales, Solène avait un don certain pour la complaisance. Elle connaissait très bien sa tante et sa bonne éducation l'obligeait à un respect profond pour cette dernière, et également à une obéissance sans faille. Mais sur ce dernier point, il fallait bien avouer que Solène était ce qu'on pouvait appeler une dissidente. Soutenue par ses parents dans ses choix de vie, elle avait pourtant de nombreux atouts dont elle n'en n'avait pas encore mesuré toute la porter.

Au moment où les deux femmes s'apprêtent à entrer dans la demeure, un hennissement bruyant se fait entendre au loin. Un cavalier fou fait son entrée par le grand portail au bout de l'allée.

— Mon Dieu ! Est-ce vraiment comme cela que l'on monte à cheval dans votre région ma tante ? questionne Solène en voyant se rapprocher l'équidé fougueux.

— Bien sûr que non ! Je suis mortifiée à chaque fois qu'il monte son étalon pour filer, je ne sais où, explique la comtesse en s'éventant le cou avec la main.

— Mais qui est-ce ?

— C'est Antoine, ma chère, votre cousin !

— Je ne me souviens pas de lui, s'étonne Solène qui ne quitte pas des yeux le cavalier qui descend maintenant de sa monture.

— C'est votre cousin par alliance, le fils du frère de votre oncle, mon défunt mari adoré. Antoine a fait ses classes à l'école militaire, mais un accident malheureux ne lui a pas permis de poursuivre dans cette voie. Depuis j'ai bien peur que cet enfant pétulant n'ait plus vraiment toute sa tête et cherche constamment à trouver la mort. Il doit maintenant reprendre les affaires du domaine avec son frère d'où sa présence en ces lieux.

Madame D'Allaincourt tend les bras vers son neveu qui lui baise les mains avec délicatesse lorsqu'il les rejoint sur le perron.

— Bonjour, ma tante, je vous prie de m'excuser pour cette entrée quelque peu théâtrale, mais Philibert était particulièrement hardi aujourd'hui, plaisante-t-il en s'époussetant avec son gant.

— Vous savez que je n'aime pas vous savoir prendre autant de risque Antoine, si votre frère était là ...

Mais le jeune homme la coupe immédiatement.

— Mais il n'est pas là. Ne soyez pas si angoissée et présentez-moi plutôt cette ravissante jeune femme, lance-t-il en s'abaissant devant Solène dans une charmante révérence.

— Mon cher neveu, je vous présente votre cousine, Solène de la Mirandière.

— Enchanté, chère ... cousine. Bienvenue au domaine. Combien de temps avez-vous prévu de rester parmi nous ? la questionne-t-il rapidement pour cacher sa surprise.

— Aussi longtemps qu'il le faudra pour que cette vertueuse personne soit assez à l'aise en société et vole de ses propres ailes, intervient la comtesse.

— Oh je vois, taquine-t-il, vous venez quérir un mari !

— Absolument pas cher cousin, objecte Solène, j'ai bien d'autres ambitions. Mais je remercie d'ores et déjà ma chère tante qui me confiera, j'en suis certaine, ses plus grands secrets pour pouvoir aborder avec ardeur et assurance les hommes impétueux, comme vous, que je pourrais croiser sur mon chemin.

Solène soutient le regard bleu profond d'Antoine qui semble déjà sous le charme.

Madame D'Allaincourt glousse discrètement à l'écoute de cet échange. Elle sait déjà que sa nièce ne sera pas facile à éduquer, mais elle ne doute cependant pas de ses talents et fera en sorte de sortir de la tête de sa protégée ses désirs imbéciles de liberté.

— Maintenant, veuillez m'excuser, mais il est temps pour moi de me reposer un peu après ce long voyage.

— Bien entendu mon enfant. Alfred ! hurle la comtesse, conduisez Mademoiselle dans sa chambre. Le diner sera servi à dix-neuf heures, ne soyez pas en retard.

— Je ne le serai pas ma tante, répondent à l'unisson Solène et Antoine.

Liberté et destinée  [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant