L'heure du bal est arrivée, et le cocher attend dans le parc. Solène est parée de la robe de taffetas commandée par sa tante. Elle n'a pas l'habitude de porter d'aussi belles toilettes, aussi prend-elle soin de s'installer confortablement.
— Vous êtes splendide, très chère cousine, la complimente Antoine en montant dans la voiture.
— Je vous remercie, très cher cousin, et vous retourne le compliment.
— Bien, nous pouvons y aller maintenant, ordonne la comtesse pour annoncer le départ.
— N'attendons-nous pas Baptiste, ma tante ? s'étonne Solène.
— Votre cousin est déjà sur place, nous le rejoindrons là-bas.Solène sourit intérieurement, savourant la joie de ses prochaines retrouvailles avec le jeune homme.
À leur arrivée sur le lieu des festivités, Solène ne peut s'empêcher de tourner la tête dans tous les sens, émerveillée par les dorures, les lumières, et le nombre d'invités. Antoine la regarde avec amusement.
— Bienvenue dans le grand monde, chère cousine !
Madame d'Allaincourt se fait annoncer, et tous trois pénètrent dans la somptueuse salle principale où des couples dansent déjà, tandis que d'autres, regroupés en petits comités, portent des verres de champagne à leurs lèvres.Au loin, Solène aperçoit Baptiste en pleine conversation. Il ne l'a pas remarquée, et elle s'accorde l'occasion de l'observer discrètement. Son sourire est timide, mais sa posture est droite. Elle remarque à nouveau les petites boucles de cheveux qui caressent son cou, et elle rêve de les effleurer du bout des doigts. Lorsqu'elle le voit rire, il lui semble encore plus séduisant, et ses lèvres en mouvement lui rappellent le somptueux baiser qu'il lui a donné quelques heures plus tôt. Toutes ses certitudes sur les hommes s'effondrent en un instant : elle doit se rendre à l'évidence, elle est en train de tomber amoureuse.
Un jeune homme en redingote noire s'approche et interrompt sa rêverie. Après avoir salué comme il se doit la comtesse et Antoine, il invite Solène à l'accompagner pour un quadrille. La comtesse d'Allaincourt ne cache pas sa satisfaction, certaine de l'effet immédiat de la beauté de sa nièce.
Pendant ce temps, Baptiste se dirige vers une table pour saisir une coupe de champagne. Alors qu'il s'apprête à l'apporter à une autre comtesse, il aperçoit Solène sur la piste de danse aux côtés du duc de Chamberlin, un jeune homme tout à fait honorable mais qui le rend nerveux. Sans réfléchir, il vide la coupe d'un trait et en demande une autre. Il observe Solène et son cavalier tourner, échanger quelques mots qui la font sourire. Le duc déploie tous ses charmes, effleurant sa taille par moments, lui chuchotant à l'oreille. Cela en est trop pour Baptiste qui, impatient que la musique cesse, se prépare à rejoindre Solène pour lui demander la prochaine danse, abandonnant son groupe d'amis.
— Chère cousine, bienvenue au bal de la Chapelière. Vous êtes... resplendissante, lui lance-t-il en s'inclinant.
Solène arbore un sourire des plus joyeux.
— Baptiste ! Je suis tellement heureuse de vous voir.
— En êtes-vous certaine ? Il me semble pourtant que vous ayez trouvé rapidement un nouveau partenaire en la personne du duc de Chamberlin.
— Cela ne semble guère vous plaire, ironise-t-elle. Comme je vous l'ai dit, je m'impatientais de danser de nouveau avec vous, et c'est chose faite. Soyez assuré que ce moment partagé sera sans doute l'un des plus beaux de ma soirée.L'assurance de Solène donne du courage à Baptiste, qui oublie ses bonnes résolutions de la veille.
— Croyez-moi, Mademoiselle, je pourrais vous offrir des moments bien plus exceptionnels qu'une simple danse de salon.Solène est surprise par cette provocation, mais elle y voit une occasion de percer la retenue qui persiste entre eux. Elle ne peut s'empêcher de fixer ses lèvres, celles qui l'ont embrassée la nuit dernière. Elle sait que Baptiste est trop respectueux pour évoquer ce baiser en public, et elle se délecte de partager ce secret silencieux avec lui.
— Vous êtes un homme déroutant, Baptiste. Lors de notre dernière rencontre, vous sembliez redouter de danser avec moi, et ce soir, vous me faites des avances des plus équivoques. Ce n'est pas pour me déplaire, mais vous m'avez tellement raisonnée quant à la méfiance que je devais avoir envers l'amour et les hommes en général que, je dois l'avouer, je suis perdue quant à vos sentiments à mon égard.— Vous avez raison. Je suis désolé de vous plonger dans cet embarras. Sortons discuter, si vous le voulez bien. Nous serons plus tranquilles.
Ils rejoignent la terrasse, dont la décoration n'a rien à envier à l'intérieur. De grandes torches illuminent les allées, bordées de gigantesques compositions florales, tandis que de nombreux bancs blancs invitent les visiteurs à s'y reposer. Sans réfléchir, Baptiste se lance dans un plaidoyer qu'il n'avait pas préparé.
— Vous m'inspirez, Solène... ou plutôt, vous me troublez, avoue-t-il, se retenant de lui prendre la main. Votre aura m'attire irrésistiblement. Vous êtes belle et douce, certes, mais surtout, vous avez de l'esprit et une grande curiosité. Vous semblez n'avoir peur de rien. Je suis en admiration devant vous, et je ne sais comment gérer cet ouragan de sentiments.Enfin, Solène entend les mots dont elle rêve depuis des jours. Son cœur s'emballe, et elle ne peut retenir ses propres confidences.
— N'est-ce pas ce trouble qui confirme l'affection que l'on peut avoir pour quelqu'un ? Vous aviez raison : les livres ne m'ont pas offert de réponses. Mais j'ai compris que l'amour ne s'étudie pas ; il se vit, il se ressent, il se partage.— Votre esprit m'enivre, je pourrais vous écouter pendant des heures, confie Baptiste en se rapprochant discrètement d'elle pour lui effleurer la main.
— Baptiste, je ressens pour vous la même admiration. Vous m'avez tous tellement effrayée avec ces mariages arrangés sans amour, avec l'idée que je devrais renoncer à mes études pour être épouse et mère. Je crois que vous êtes le seul homme avec lequel je me sens capable de tout mener de front. Je sais que vous me comprenez et que vous m'apporterez votre soutien en toute circonstance. Faut-il plus de preuves pour dire que nous avons des sentiments l'un pour l'autre ? termine-t-elle, repensant à leur rencontre nocturne.
Baptiste inspire profondément. Il prend soudain conscience que son empressement à lui déclarer ses sentiments, pour qu'elle ne l'oublie jamais même s'ils étaient séparés, était égoïste. Mais maintenant, face aux yeux tendres de Solène, il sait qu'il doit se montrer fort et arrêter cette mascarade avant de lui causer plus de peine.
— Mon Dieu, Solène, vous ne comprenez pas...Alors qu'elle lit dans ses yeux un trouble déchirant, on appelle Baptiste au loin.
Il se penche vers elle et murmure à son oreille :
— Je suis désolé, ma chimère, tellement désolé.
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Liberté et destinée [TERMINÉE]
NouvellesSolène de la Mirandière est une jeune femme qui sait ce qu'elle veut. Ses parents que l'on pourrait qualifier d'excentriques dans cette aristocratie française du XIXe siècle lui ont laissé le choix de son avenir, à savoir devenir médecin, à la condi...