— Bonjour ma tante.
Solène rejoint la Comtesse dans la salle de repas pour le petit déjeuner. Ce château est si grand, qu'elle doit anticiper ses déplacements pour ne jamais être en retard, comme l'exige sa propriétaire des lieux.
— Bonjour mon enfant, comment allez-vous de si bon matin ? questionne Madame D'Allaincourt toute guillerette.
— Bien ma tante.
— Et bien vous n'en avez pas l'air. Êtes-vous souffrante ? s'inquiète-t-elle
— Je ne crois pas. À vrai dire, je me pose des questions.
— Quel genre de questions ?
Solène hésite à engager la conversation. Antoine est parti en voyage d'affaires pour plusieurs jours et depuis leurs derniers échanges, elle n'a pas encore résolu ces questionnements sur les sentiments amoureux.
— Je vous écoute Mademoiselle, s'impatiente la femme.
— Comment avec vous connut mon oncle ?
Madame D'Allaincourt alors affairée à sa broderie, pose délicatement son ouvrage sur ces genoux et se racle discrètement la gorge.
— Lors d'un bal. Mon second bal pour être exacte. Nous ne nous connaissions pas, il venait de Suisse et j'ai su par la suite que nous n'aurions jamais dû nous rencontrer.
— Continuez, s'impatiente Solène.
— Il devait se rendre au bal de la Duchesse Louise, malheureusement celle-ci fut prise d'un mal pulmonaire quelques jours avant et la fête fût annulée. Votre oncle m'a été présenté par le biais de ma mère. Nous avons dansé toute la soirée, au moins une dizaine de valses, je pense. J'étais étourdie de bonheur. Il était bel homme vous savez, glousse la comtesse, et bon danseur.
— Vous avez donc su immédiatement qu'il serait votre époux ?
— J'ai eu de la chance, ma chère, d'épouser l'homme dont je suis tombée amoureuse oui. Vous savez, cela n'est pas donné à tout le monde. Nous autres femmes, ne sommes pas grand-chose sans ces hommes. Mais parfois nous arrivons à concilier statut d'épouse et sentiments amoureux.
— Ne dites pas que nous ne sommes rien sans les hommes ma tante. Je démens cette idée.
— C'est pourtant bien la vérité mon enfant. Notre société est faite ainsi. Nous n'avons de toute façon pas beaucoup de droits qui nous permettraient de survivre sans eux. Vous-même allez devoir vous plier à ces règles. Dites-vous seulement qu'il vous faudra choisir un bon parti pour au moins avoir l'assurance d'une vie sereine.
— Je n'aurais pas besoin de mari. D'abord, j'ai de longues études qui m'attendent et quand j'aurais mon doctorat ...
Madame D'Allaincourt la coupe brutalement.
— Quand allez-vous enfin vous ôter de la tête ses sottises ! Et comment comptez-vous financer ses études en imaginant que vous puissiez un tant soit peu y accéder.
— Grâce à ma dot ! réponds fièrement Solène.
— Comment !? Mais vous n'y songez pas ! Sans dot, point de mari !
— Ne puis-je pas espérer un mari qui m'aimerait pour ce que je suis et non pas pour la valeur que je représente ma tante ? demande Solène.
— Mais enfin ma chère de quoi parlez-vous ? Les questions de l'amour ne sont que secondaires. Il faut tout d'abord vous protéger. Et le seul moyen qui soit à votre disposition pour y arriver est de vous engager.
— Mais vous avez dit tout à l'heure avoir aimé mon oncle et que ceci était réciproque, mais j'entends maintenant dans votre discours que les sentiments n'ont pas d'importance. Je ne comprends plus Madame.
La comtesse prend les mains de sa nièce et tente de prendre un ton plus doux.
— Ce que je veux dire Mademoiselle c'est, que les choses de l'amour sont un sujet bien complexe et délicat. Nous ne pouvons en rien prédire de cet état. Mais si vous voulez un jour connaître le même bonheur que moi, il vous faut vous rendre disponible auprès de la gent masculine. Vous comprenez, plus vous rencontrez de gentilhommes, plus vous aurez de chance de trouver celui qui vous conviendra le mieux.
Madame D'Allaincourt arbore un sourire de satisfaction quand elle observe la jeune fille en pleine réflexion.
En fait c'est mathématique, se dit Solène à elle-même. Je supposerais même que c'est chimique, et dans ce domaine je n'ai que quelques notions, j'irai dès cet après-midi à la bibliothèque pour me documenter sur le sujet. Ma tante, aussi sage soit-elle, a bien trop vécu pour avoir les idées claires et objectives sur cette question.
— D'ailleurs à ce sujet, reprend la Comtesse, nous allons nous rendre au bal du Duc de Rochefoucault dans quelques semaines, ainsi vous aurez l'occasion de vous rendre compte du nombre de prétendants qui pourraient avoir envie de vous faire la cour. Vous êtes si jolie ma nièce, votre teint rosé et vos grands yeux noisette vont en troubler plus d'un j'en suis certaine. J'ai déjà une idée sur votre toilette ! Un tissu mordoré vous ira à ravir, avec une jolie dentelle aux manches et un jupon de soie, nous ferons venir la couturière dès demain pour prendre vos mesures car sinon j'ai bien peur qu'elle n'ait le temps de finir votre robe. Et puis je vous prêterais quelques bijoux bien sûr, j'ai un très joli collier de perles qui couvrira convenablement votre gorge et ....
Solène n'écoute plus sa tante qui vraisemblablement est beaucoup excitée qu'elle quant à la préparation de ce bal. Et puis soudain elle demande :
— Mais ma tante comment sait-on que l'on est amoureux ?
— Comme je vous l'ai dit, ce sont des sujets complexes.
— Comment avez-vous su pour mon oncle ?
— Eh bien je dirais que je l'ai ressenti ... dans le regard. Arrive ensuite une sensation de manque, vous souhaitez de toutes vos forces revoir votre ami ne serait-ce que quelques minutes, échanger quelques mots avec lui, danser, rire. Et plus tard, le toucher vous apporte une nouvelle émotion particulière qu'il m'est difficile de vous décrire ici.
— Comme une sensation de chaleur ?
— De chaleur et de frisson en même temps, réponds la Comtesse, pensive. Si cela vous arrive un jour ma chère, ce que je vous souhaite, vous saurez. Vous saurez, je puis vous l'assurer.
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Liberté et destinée [TERMINÉE]
Krótkie OpowiadaniaSolène de la Mirandière est une jeune femme qui sait ce qu'elle veut. Ses parents que l'on pourrait qualifier d'excentriques dans cette aristocratie française du XIXe siècle lui ont laissé le choix de son avenir, à savoir devenir médecin, à la condi...