🍋 Laisse-moi t'aimer 🍋

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Eddie piétinait le sol en béton froid dans ses baskets blanches toutes neuves, ses doigts pianotant le panneau en carton qu'il tenait entre les mains. De temps à autre il tirait sur le col de son t-shirt pour y faire passer l'air épais et poisseux du milieu d'été, se mettant sur la pointe des pieds pour tenter de voir par-dessus les crânes dégarnis des vieillards et les chignons frisés des bimbos maquillées. Il essayait de voir par delà les portes automatiques pour voir arriver les voyageurs chargés de sac à dos et de valises lourdes et bruyantes auxquelles une étiquette nominative avait été accrochée. Certains visages fatigués et lassés parcouraient ceux qui se trouvaient de l'autre côté des petites banderoles, avant de s'illuminer dès qu'ils reconnaissaient leurs proches dans la foule.
Une femme émit un cri aigu alors qu'une fille couru dans sa direction et se jeta dans ses bras, abandonnant son sac à dos à leurs pieds. Ses bras étaient marqués d'un bronzage caramel, et ses cheveux avaient adopté une teinte de blond clair lumineux. Sur son sac à dos, un patch « YEEEHA » avait été collé avec un scratch et un bracelet de perles vertes et rose clair se balançait au bout de la fermeture de la petite pochette sur le côté.
La mère, –elles se ressemblaient comme deux copies conformes–, serrait sa fille d'une façon qui laissait croire qu'elle n'était pas certaine qu'elle était réelle. Un peu comme si elle avait passé les dernières années à se demander si elle reverrait un jour sa fille.
Puis après s'être saluée, s'être délestée de la moitié de ses bagages, elle suivit sa mère en direction des portes de sortie, prête à regagner sa vie et sa maison.

Eddie reporta son attention sur les portes automatiques d'où sortaient toujours plus de voyageurs, cherchant du regard ceux qui étaient venus les accueillir à l'aéroport. Il cherchait un visage particulier dans cette foule d'européens et d'américains. Quelqu'un qu'il n'avait pas vu depuis des mois et qu'il attendait éperdument depuis le premier jour de son départ, dans ce même aéroport.

Evan avait dû partir.

Il avait dû faire ses bagages en urgence et traverser l'Atlantique pour régler ses affaires familiales. Margaret Buckley avait succombé au cancer qui réduisait son existence depuis deux longues années à un état végétatif. Evan n'avait pas remis les pieds dans leur maison de maître depuis six ans, ses uniques visites à sa mère se déroulant à la clinique dans laquelle on lui prodiguait tous les soins à Los Angeles. Phillip l'y avait emmené quand la maladie avait commencé à atteindre son cerveau et lui faisait parfois oublier où elle vivait, comment s'appelaient son mari, ses enfants.
La mort de Margaret leur était parvenue par le biais d'un mail qu'Eddie avait retrouvé dans les spams de leur boîte mail commune. Il ne disait pas grand-chose, invitant Evan à venir rejoindre son père et sa sœur en Ecosse pour l'enterrement et la lecture du testament. Phillip avait été très bref dans son courriel, exempt de sentiments et de formules de banalité. Il avait simplement communiqué une date, et rappelé l'adresse de leur domaine, au cas où leur fils aurait pu oublier l'endroit où il a grandit.
Comment oublier un tel endroit.
Quand Eddie a mis les pieds pour la toute première fois dans l'immense manoir des Buckley, il avait d'abord cru qu'Evan était entré sur la propriété par effraction et que tous les mensonges sur sa famille riche et connue n'étaient qu'une façon de se donner un peu plus d'importance.
Le truc c'est qu'Eddie avait un faible pour lui, et que le jour où il l'a invité à venir passer une soirée chez lui, dans cette bâtisse dont il ne connaissait que le mythe et les rumeurs qui circulaient dans les couloirs du bahut, il avait voulu y aller. Au début, c'était parce que l'optique de passer une soirée avec lui le fascinait grandement, et lui aurait permis de sortir le nez de ses bouquins et de ses cours. Mais ensuite, lorsqu'il avait compris qu'il mettrait enfin les pieds dans la grande maison de quatre étages de l'une des familles la plus riche de tout le comté d'Inverness, il en avait presque oublié son excitation adolescente.
Le Domaine des Tuiles était un joli manoir qui bien qu'il soit grand et si propre qu'on ne doutait pas qu'il appartenait à d'illustres fortunés, n'était pas trop extravagant ou vaniteux. Une délicate allée de gravillons blancs démarrait du portail en métal vert et traversait une minuscule forêt privée, avant de s'ouvrir sur une cour entourée d'un bas muret en pierre grise. Uniquement deux voitures occupaient chacune un côté, tournées vers l'entrée. Il y avait celle de la femme de chambre, une petite citadine rouge dans laquelle un petit panda roux pendouillait sous le rétroviseur, et celle de Phillip, un pick-up hybride noir métallisé. Margaret n'avait jamais aimé conduire alors le couple s'était toujours contenté d'une seule voiture. Monsieur Buckley étant plus grand fervent des maquettes de navires colons à reconstruire de toute pièce, il n'avait jamais trouvé utile de gâcher une fortune dans l'achat d'un véhicule qui ne servirait finalement pas.
Il arrivait tout de même qu'une limousine stationne dans l'entrée de la maison, mais il s'agissait là en réalité d'une simple voiture de voyage que prenaient ses associés pour venir s'entretenir avec lui dans son bureau.
Evan avait pu y faire un tour une fois, alors que son père était de bonne humeur et sa mère moins angoissée qu'habituellement. Il avait trouvé ça amusant, bien que décevant. Ce n'était qu'une voiture un peu plus longue, lui rappelant étrangement le chien ressort dans Toy Story.

Buddie One ShotsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant