15. Petit faon

1.1K 68 21
                                    

Come As You Are - Nirvana

Memento mori, « souviens-toi que tu vas mourir » en latin. À trop jouer au grand faucheur, Caleb semble avoir oublié que la vie ne tient qu'à un fil qui effleure le tranchant d'un couteau à pain.

Je me ferai un plaisir de le lui rappeler.

Il gît sur le carrelage de la cuisine, inconscient et tout à fait inoffensif. Je lui tapote les joues pour m'assurer qu'il a bel et bien sombré dans le royaume de Morphée, puis je laisse mes doigts tracer le tatouage qu'il porte au-dessus de l'œil droit.

Hope.

— L'espoir de quoi, Chasseur ?

Seuls les battements de son cœur me répondent, réguliers contre ma paume. De mon autre main, je fouille la poche de son hoodie. Je trouve son téléphone, mais il est verrouillé par un code. En poursuivant mon excavation, un objet tranchant me coupe la pulpe de l'index.

— Aïe !

Je l'apporte à mes lèvres et jette un regard noir à Caleb comme s'il était coupable... et indirectement, il l'est.

— Qu'est-ce que c'est que cette merde ?

En tâtant sa poche avec plus de prudence, j'en ressors des clous et...

— Une cuillère ?

Les bords ont été affûtés, et je doute qu'il déguste sa soupe avec cet outil de torture. Ça renforce ce que je savais déjà : Caleb avait l'intention de me zigouiller, ce soir. Ce type est un tueur, et les tueurs ne laissent pas de témoins en liberté.

Mais moi je suis une survivante, et je ne me laisserai pas abattre.

Pour me remonter le moral, je lui vole son paquet de cigarettes, or j'ai beau fouiner, je ne trouve pas de briquet pour l'accompagner. Ce n'est pas ça qui va m'empêcher de me détruire les poumons.

Une clope coincée entre les lèvres, je démarre la gazinière et me penche près de la flamme pour l'allumer. Je tire longuement dessus, appréciant la brûlure au fond de ma gorge et la sensation de chaleur qui se propage dans tout mon corps.

Putain, ça m'a manqué !

J'ai commencé à fumer bien avant la disparition de ma mère, et j'ai continué jusqu'à ce qu'on m'enferme dans une cage il y a plus d'un an. L'unique fumée que je respirais alors, c'était celle qui imprégnait l'haleine répugnante de mes geôliers.

Des enculés, tous autant qu'ils étaient.

Je m'appuie contre l'évier et, tirant paresseusement sur ma clope, je baisse les yeux en direction de l'homme à mes pieds. J'ai de nombreuses raisons d'être en colère contre lui : la vidéo, les caméras, sa tentative de manipulation...

Mais putain, vous avez vu sa gueule ?

Si je croyais en l'amour, je creuserais mon cœur hors de ma poitrine pour le déposer entre ses mains. Mais je n'y crois pas. C'est pourquoi je suis là, en train de débattre avec mon bon sens qui me murmure de lui accorder une mort rapide.

Un strident coup de sifflet me tire de mes rêveries.

Le match se termine à la télévision, aussitôt remplacé par une pub pour des rasoirs. D'un pas tranquille, je m'élance en direction du salon où une odeur concentrée de métal assaille mes sens.

La télécommande gît dans une mare de sang entre Tobias et son petit-copain. Je la saisis du bout des doigts pour mettre l'appareil hors tension. Soudain plongée dans l'obscurité, je balance le boîtier sur le canapé. Je l'entends rebondir sur l'un des deux corps et tomber par terre.

Ravagés [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant