Priorités

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Souvenez-vous toujours des personnes qui ont été là pour vous.

Le regard brillant, elle soutint son regard sans flancher. Ce n'était pas l'envie qui lui manquait.

- D'accord, finit-elle par acquiescer d'une voix neutre.

Elle aurait aimé qu'elle soit là, car elle aurait compris qu'elle n'était pas neutre du tout, qu'elle était blessée. Elle, elle comprenait qu'elle était faible. Si faible de baisser la tête, d'acquiescer. Elle se détestait.

Elle tourna les talons sans attendre une réponse, elle craignait que ce soit trop pour elle. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi avait-elle ce trou béant dans le coeur ? Elle ignorait les réponses. Et elle ne comprenait pas pourquoi elle ressentait cela, ni pour quelles raisons on lui infligeait ce ressenti. Elle était toujours gentille pourtant, elle essayait toujours de satisfaire ses proches. Besoin d'aide pour le travail ? Elle répondait présente et faisait ce qu'elle pouvait. Un proche était en colère ? Elle était là pour le calmer. Besoin de rire ? Elle était là pour faire le clown. Besoin de pleurer ? Elle était là pour apporter la crème glacée, le chocolat, les mouchoirs, et sécher les larmes. Elle avait le choix entre un proche et un devoir ? Elle choisissait son proche. Elle devait choisir entre l'une de ses passions et un proche ? Elle choisissait le proche. Elle choisissait toujours le proche. Elle avait fait d'eux sa priorité première, passant souvent au second plan, s'effaçant pour eux. Oubliant sa propre existence pour qu'eux puissent vivre pleinement la leur. Elle était un personnage secondaire de sa propre vie, parfois, elle avait même l'impression d'être une spectatrice. Quand elle était spectatrice, elle se sermonnait elle-même, et elle s'en voulait. Elle était toujours si faible. Si faible face à eux, à cause d'eux, pour eux. Et qu'est-ce qu'elle en avait marre. Qu'est-ce qu'elle détestait ça. Se plier en quatre, accepter d'être au dos du mur, se taire, garder ses émotions les plus négatives enfouies en elle, laisser son âme se troubler, entendre son coeur se briser, voir sa santé mentale faillir... Pour eux. Par leur faute.

Mais était-ce important ? Non. Tant que eux, ils allaient bien, elle allait bien aussi. C'était ainsi que cela fonctionnait, non ? Tant que ses priorités lui offraient satisfaction par leur propre satisfaction, tout allait bien, non ?

Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle s'était convaincue de cela pour ne pas craquer. Mais aujourd'hui, elle était fébrile.

Cela faisait longtemps qu'elle, son ange gardien, la seule à la comprendre en un regard, à saisir les non-dits même virtuellement, lui disait que ce n'était pas sain. Qu'elle ne parviendrait jamais à tenir, qu'elle allait finir malade, physiquement si l'anxiété la prenait, mentalement depuis le début. Pourtant, elle y croyait, elle voulait y croire. Elle voulait croire qu'un jour, ils lui rendraient la pareille.

Mais aujourd'hui, toutes les fois où elle avait eu besoin d'eux et où ils avaient été absents lui étaient revenues en pleine face. Quand elle était déprimée, ils n'étaient pas là pour porter un nez rouge, parfois même ils l'enfonçaient davantage ou ils finissaient par ramener le sujet à leurs propres malheurs. Quand elle était en colère, ils l'irritaient encore plus, ou ils prenaient parti pour la cause de son énervement -elle se savait impulsive et généralement en tort-, malgré le besoin de soutien. Quand elle ne souriait pas, elle finissait par se débrouiller seule pour être positive. Elle n'avait pas le droit d'être négative, si elle l'était, personne ne serait optimiste. C'était elle, l'optimisme dans tous ces liens. Et, pour finir, quand elle avait envie de pleurer eh bien... Personne ne le savait. Quand elle finissait par pleurer, il n'y avait qu'une personne à laquelle elle le confessait. A son ange gardien.

Tout cela lui était revenu quand on lui avait offert un refus "je suis désolée, mais je pratique mon activité, c'est pour ça."

Oui.

Son activité.

Bien sûr, elle comprenait.

Mais cette activité, elle pouvait la faire à toute heure du jour et de la nuit.

Ce qu'elle, elle lui avait demandé, elle ne pouvait le faire qu'aujourd'hui.

Elle aimerait être égoïste elle aussi. Elle aimerait exprimer son refus. Que faisait-elle à la place ? Elle disait amen. Et elle faisait ce qu'on lui demandait.

Elle se rêvait héroïne au fort caractère, affirmée et confiante.

Cependant.

Elle vivait comme le personnage fragile qui avait besoin d'être secouru.

Elle ne voulait pas être secourue. Elle n'avait pas besoin d'aide. Elle refusait d'avoir besoin d'aide. Il en était hors de question.

Cependant, ses doigts pianotèrent d'eux-mêmes et cliquèrent sur son visage, faisant sonner la sonnerie.

Elle n'avait pas besoin d'aide.

Elle n'avait besoin de personne, surtout pas d'eux.

Elle avait juste besoin d'elle.

La seule qui se souciait assez d'elle pour la rattraper au bord du précipice.

La seule qui lui demandait comment ça allait par sincérité, et non par politesse ou pour parler de ses problèmes.

La seule qui la faisait se sentir comme étant l'une des priorités de quelqu'un.


Hier, Aujourd'hui, DemainWhere stories live. Discover now