"Pour représenter le temps, les aiguilles, l'horloge sont les premières choses auxquelles on pense. Moi, je pense au sablier. Avec le sable qui s'écoule. C'est le seul objet qui me permet vraiment de comprendre la valeur des secondes qui tombent, la valeur des minutes qui passent, l'importance des heures que l'on voit lentement passer, enfermés dans des salles avec d'autres personnes. Des inconnus, des connaissances, des amis.
Je choisis le sablier, parce que c'est le temps imparti. Je choisis le sablier, parce que je vois ce temps imparti. Un filet d'adrénaline parcourt mes veines, il part de mon coeur. Vif comme un animal, il se faufile dans chaque fibre de mon corps, il fait des détours, mais il s'assure que chaque nerf soit mis au courant de sa présence, de son existence, il se fait ressentir jusque dans mes os et entame une course effrénée jusqu'à mon esprit. Pas de temps à perdre, les secondes s'écoulent, le sable fuit sa cavité. Je pourrais retourner le sablier, mais comment saurais-je que je suis dans le temps ? Je capte enfin l'information.
Mes yeux s'ouvrent.
Le sable s'écoule, le quart est déjà tombé. Alors c'est ça, de voir le temps passer sans vraiment le voir ? C'est bizarre. D'habitude, les minutes durent des heures, les heures durent une éternité. Une éternité durant laquelle je souhaite m'enfuir. Une éternité au cours de laquelle mes pensées me font rêver de choses qui n'arriveront jamais. Une éternité qui me laisse espérer une vie que je ne vivrai pas.
Mais là... Je n'ai pas le temps de visualiser cette vie, le sable est presque écoulé. Je vois les grains de sable s'échapper, mais qu'en est-il des secondes qui s'envolent avec eux ? Où sont-elles passées ? Elles qui me semblent si longues lorsque mon regard fixe un tableau blanc, regard vitreux, esprit embrumé, lèvres figées...
Alors c'est ça, de regretter le temps qui passe ?
La première minute vient de s'écouler. Les grains ne tombent plus. Et qu'ai-je fait durant cette minute ? Rien, strictement rien, si ce n'est penser au maître du temps qui nous tue et nous inquiète.
Je retourne le sablier, les grains de sable recommencent leur manège.
Une minute.
J'ai exactement une minute."
Sa plume se figea en l'air, esprit glacé, elle regarda la goutte d'encre tomber sur le papier, le tâcher, elle regarda le papier accepter l'encre noire comme une amie. Elle devait trouver des mots à mettre. Quels mots poser sur ce papier ? En avait-elle davantage ? Le tic tac de l'horloge gonflait son coeur d'appréhension, elle devait finir. Bientôt, minuit sonnerait, elle refusait d'emmener avec elle cette page en 2024.
Elle reprit donc.
"J'ai une minute.
Une petite et ridicule minute.
Une seule.
Une seule pour me décider.
Pour me décider à vivre."
Elle posa le dernier point et se leva de sa chaise, en avance sur son propre texte, victorieuse. Il lui restait encore trois minutes avant le décompte. Elle se dirigea vers sa fenêtre et regarda par celles de ses voisins, qui, eux aussi, célébraient cette nouvelle année. Pour la première fois depuis longtemps, elle accueillait cette année à bras ouverts. Pour la première fois depuis des années, elle avait une résolution : vivre.
Peut-être que ça n'allait pas être facile. Elle laissait derrière elle des amitiés, des sentiments, des bons comme des mauvais moments. Elle laissait derrière elle une année qui l'avait épuisée, une année qui l'avait rendue folle, qui lui avait rendu coup pour coup, mais elle laissait aussi derrière elle une magnifique année. Une année à l'occasion de laquelle elle avait pu connaître l'amour, l'amitié sincère, la joie d'être intégrée, une année au cours de laquelle elle avait trouvé une nouvelle famille. Elle abandonnait une année qui lui avait fait mal, qui avait tenté de la détruire, de la ravager, qui l'avait faite tomber plus d'une fois... Mais c'était une année qui ne l'avait pas vaincue. Le temps ne s'était pas arrêté, le monde avait continué de tourner malgré ce qu'elle avait vécu, pensé, ressenti, rien ne s'était arrêté. Rien ni personne... A part elle. Elle s'était arrêtée, à plusieurs reprises, elle avait tenté de se relancer, mais on l'avait toujours faite trébucher.
Elle ouvrit sa fenêtre et se pencha légèrement en avant.
Encore une minute.
Elle laissait derrière elle un poison, elle laissait derrière elle ceux qui avaient créé et qui lui avaient donné ce poison. C'était elle, qui détruisait ce poison qui la paralysait. Elle laissait derrière tout ce qui l'avait blessée. Et elle sautait vers cette nouvelle année. Elle souriait. Elle allait enfin la vivre sa putain de vie, parce que la vie ne s'était pas arrêtée quand elle aurait aimé que le temps se fige, parce que le sable continuait de tomber, parce que les aiguilles continuaient de tourner. Parce que rien n'était devenu glace, tout était resté feu. Elle n'était pas morte durant cette année, ni les précédentes, elle n'était pas vaincue. Et elle allait le prouver, au temps et à la vie. Elle allait réussir, elle allait aimer, elle allait être heureuse. Même si pour cela, elle passerait par les échecs, par la haine, par la colère, par la souffrance et par la peur. Peu importe. Elle savait que ça faisait partie de la vie, elle savait que ces jours où elle serait en compagnie de ces ondes négatives elle se sentirait couler, comme elle savait que les lendemains seraient meilleurs et qu'elle remonterait à la surface.
Un cri l'interpella.
- 5 !
5 secondes pour se détruire.
- 4 !
4 secondes avant qu'elle se mette face au futur.
- 3 !
3 secondes pour accepter de s'occuper d'elle.
- 2 !
2 secondes pour lever les yeux vers le ciel.
- 1 !
1 seconde pour renaître.
- BONNE ANNEE !
0 seconde pour commencer.
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Hier, Aujourd'hui, Demain
RandomHier, je pensais, je rêvais, je créais. Aujourd'hui, je pense, je rêve, je créé. Demain, je penserai, je rêverai, je créerai. Hier, j'étais là, j'écrivais en silence. Aujourd'hui, je suis là, j'écris devant vous. Demain, je serai là, j'écrirai ce q...