Chapitre 1 : Hurt

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Mya :

Nous sommes le 3 décembre. Dehors, le temps est à l'orage et une fine pluie tombe en continue. Je sens l'odeur du béton mouillé par la fenêtre ouverte, j'ai l'impression de me voir au travers de la météo.
Je fixe mon reflet dans le miroir de la salle de bain. D'ici deux heures, je serai à l'Athanée pour dire au-revoir à mon père une dernière fois. L'angoisse monte quand je me rends compte que je vais faire la connaissance d'une grande partie de sa famille, qui est aussi la mienne au final...
Je sens la crise d'angoisse prête à m'engloutir. Nerveusement je me ronge les ongles... J'ai décidé de rester dans mon coin, je ne veux pas me faire remarquer, je veux juste que cette journée se termine. Je suis fatiguée...
La sonnerie de mon téléphone interrompt mes pensées. Le nom de Fab s'affiche sur l'écran.
– Coucou Fab, qu'est ce qu'il y a ? Dis-je tout en essayant de maîtriser ma voix tremblotante.
– Coucou Mya comment tu te sens ? Est ce que tu veux que je passe te chercher pour qu'on y aille ensemble ? me demande-t-il.
– Oui pourquoi pas, je t'envoie l'adresse. Merci, à tout de suite. Je pousse un profond soupir de soulagement.
J'ai l'occasion parfaite d'échapper à ma mère qui souhaite absolument être présente pour moi. Mes parents se sont séparés alors que ma mère était au début de sa grossesse. Elle a ensuite refait sa vie avec un autre homme et mon père a été écarté de tout ce qui me concerne, ma naissance, mon éducation, ma vie. Tout cela s'ensuivit de cachotteries et de mensonges. Jusqu'à il y a 4 ans où j'ai appris l'existence de mon père et qu'il est entré dans ma vie et a eu l'effet d'une tornade.
Mon copain aussi sera présent mais il n'arrivera qu'un peu plus tard. Il ne souhaite pas être présent à la fermeture du cercueil, cette journée est difficile pour moi, mais je sais à quel point elle doit être dure pour lui aussi. Il y a bientôt 10 ans, la maladie a également emporté son père, alors aujourd'hui lui rappelle bien des souvenirs douloureux...
Certes, il ne montre pas beaucoup ses sentiments, mais je sais que cette journée le fait souffrir autant que moi. Les souvenirs de son père qui remonte à la surface et me voir souffrir comme lui a souffert est très difficile pour lui. Cette journée commence à peine mais j'ai l'impression qu'elle ne finira jamais.
D'un autre côté je ne suis pas sûre d'être prête à ce qu'elle se termine. Cela voudra dire que ça y est, il est parti pour de vrai, cette pensée me retourne l'estomac, mes jambes deviennent tremblantes.
Je me brosse les cheveux une derrière fois et j'estime que, de toute manière, je ne pourrais pas faire mieux.
Ma longue chevelure brune pend jusqu'en bas de mon dos tel un rideau occultant. Pour les vêtements, rien de plus que d'habitude, mes Docs Martens, accompagnées d'un jean et d'un sweat à capuche noirs, et mon éternelle veste en cuir de la même couleur.
Pour compléter ma tenue, J'ai décidé de porter les cadeaux de papa : une ceinture en cuir travaillée, les bracelets en cuir et perles qu'il fabriquait lui-même. J'y ai juste ajouté une grosse boucle au nom du club dont il a fait partie. A chaque fois que je suis stressée ou anxieuse, jouer avec les perles du bracelet me détend un peu mais je ne pense pas que ce sera suffisant pour aujourd'hui.
Pour ce qui est du maquillage, entre la pluie et mes larmes, j'ai abandonné l'idée. Ressembler à un panda ne fait pas vraiment partie de mes plans pour aujourd'hui. Je suis prête, enfin autant qu'on puisse l'être dans ces circonstance j'imagine.
Je sors de la salle de bain la tête baissée, et avant que je ne puisse comprendre quoi que ce soit, je bouscule Tyler, l'homme de ma vie depuis 8 ans. Je ne l'ai ni vue ni entendu arriver.
– Désolée mon cœur, j'étais dans mes pensées. Fab m'a appelé, il va passer me chercher, on va aller à l'Athanée ensemble. Tu n'auras qu'à nous rejoindre avec ma mère quand vous serez prêts, d'accord ?
Je me suis éfforcée à parler d'une voix neutre, mais je suis incapable de cacher la tempête émotionnelle qui fais rage en moi.
– Ce n'est rien ne t'inquiète pas. D'accord si tu veux, si tu en as besoin je vous accompagne, mais je t'attendrai dehors au reposoir. Je ne me sens pas prêt d'y entrer, je suis vraiment désolé.
– Ça va aller, prends ton temps. Je ne suis pas seule, et puis quand bien même ce serait le cas, tu sais que je préfère la solitude au monde... La journée va être bien assez longue pour que je sois désagréable, profite du calme avant la tempête.
J'essaie de faire un peu d'humour, ce n'est déjà pas mon fort en temps normal, alors autant dire que là, c'est une catastrophe. Heureusement pour moi après 8 ans de relation il me connait plutôt bien donc il me souris.
Je le prends dans mes bras. Son odeur familière, son contact et la douceur de ses lèvres sur mon front me réconfortent un peu. Je suis toujours aussi folle amoureuse de lui même après tout ce temps. Il est le pilier essentiel de ma vie. Encore plus maintenant. Un bip retentit annonce d'un message :
"Je suis en bas."
Je lis le message de Fab à voix haute.
Il est garé devant le portail de la maison au volant de sa vieille et puissante Mustang noire, sa Harley étant en Bretagne.
Il sort de la voiture et me prend dans ses bras. On n'a pas besoin de se parler pour se comprendre, il vient de perdre son frère, son meilleur ami et moi mon père... alors sans un mot, nous montons dans sa voiture et prenons la route.
Il n'y a que 20 minutes de route, et le stress ne cesse de monter... Je joue avec les perles du bracelet malheureusement rien n'y fait. Quand nous arrivons, tous mes ongles sont rongés et j'en suis aux cuticules.
Il y a déjà énormément de monde et de voitures. Mais la première chose qui me frappe, c'est la quantité de Harley Davidson garées devant, ainsi que le nombre impressionnants d'hommes vêtus d'un cuir à l'effigie du club portant le fameux nom des "Shadow of the night".
Ils devaient être une trentaine, de tous les âges... Une partie de la famille est rassemblée dans un coin, mais pour la plupart je ne veux ni les voir ni leur parler. Lors de mon arrivée, 4 ans plus tôt dans la famille, je n'ai pas été très bien accueillie par la belle petite famille bien rangée. Mon père était déjà le rebelle pas très bien vu, alors moi, avec mes cheveux noir, mon anneau dans la narine et mes nombreux tatouages, on va dire que je ne me fond pas dans le tableau, et cela me conviens parfaitement. Je suis très solitaire et je ne m'en cache pas.
Je sors de la voiture les jambes tremblantes escorté par Fab, il se dirige droit vers Marc, un ami de papa qui possède une boutique de cuir en ville. C'est d'ailleurs lui qui a fourni les matières premières nécessaires à la confection de mon bracelet et ma veste. A ses côtés se tiennent les membres du club. L'angoisse ne cesse de monter au fur et à mesure que les regards se braquent sur nous, quand on approche Fab me dit discrètement :
– Je te présente la famille de ton père, ses frères, ses amis, sa vraie vie.
Perturbée par ses paroles, je ne me suis pas rendue compte qu'on est arrêté devant les membres du club.
Je fais la bise à Marc avec ce qui aurait dû être un sourire bienveillant mais qui doit plutôt ressembler à une grimace, mes émotions reprennent le dessus. Mes mains tremblent, l'air qui ne rentre pas dans mes poumons...
Les larmes au bord des yeux, je me concentre sur ma respiration pour chasser toute trace d'émotion pouvant être visible sur mon visage. La douce pluie m'aide à me calmer et reprendre le contrôle.
Un homme entre trente et quarante ans se détache du groupe et s'approche de Fab, l'ambiance est plutôt froide mais vue les circonstances ça me semble plutôt normal. Il me tend sa main en se présentant :
– Bonjour, moi c'est Flo alias Furry, président des Shadow of the night. Je te présente au nom du club nos plus sincères condoléances. Ton père nous a beaucoup parlé de toi. Si tu as besoin de quoi que ce soit n'hésites pas. Tu fais partie de la famille.
Je reste plantée là, un peu abasourdie et surtout contrariée, sans savoir quoi répondre quand un rire amer ne peut m'échapper. Je n'avais jamais vraiment entendu parler du club ni de ses membres avant les 4 dernières années.
Il était resté très flou quant au club et son implication dans celui-ci. Il n'avait pas eu l'air de vouloir que je sois assimilée à eux de près ou de loin. Je me contente de répondre :
– Merci mais je n'ai besoin de rien.
Je suis froide et arrogante, mais je n'ai pas envie d'être là, pas envie d'avoir cette conversation. Je veux être seule, je veux faire mon deuil, et tirer un trait sur sa famille, sur ses amis, sur tout ce qui pourrait me le rappeler, parce que je n'ai pas eu assez de temps avec lui... En 4 petites années, il est devenu un des piliers de ma vie, pour finalement repartir pour toujours. Et je ne suis pas prête à cela.
Je me suis mise à l'écart et suis restée silencieuse les deux heures qui ont suivi. Le temps que tout le monde puisse dire au revoir à papa. Après ça, on nous a annoncé la fermeture du cercueil. Ce moment fatidique...
J'y suis retourné une dernière fois, je me suis penchée pour embrasser son front glacé une dernière fois, puis je suis sortie sans un mot. Le temps s'est arrêté autour de moi. Ils l'ont enfermé dans cette boite et je crois qu'ils ont également enfermé mon cœur à l'intérieur. Je suis une coquille vide, je suis seule et anéantie.
En me dirigeant vers la sortie je croise le regard de l'un des membres, il me fixe avec un air étrange. Il est jeune, je dirais environ trente ans, blond avec un air froid et dur sur le visage. Je n'y prête pas plus attention et sort.
Je rejoins Tyler et ma mère. Il me prend dans ses bras et je me coupe du reste du monde... Fab discute dans un coin avec les membres du club, cela semble toujours tendu entre eux, ils me lancent régulièrement des petits coups d'œil.
Tout le monde s'attend à me voir craquer, mais ça n'arrivera pas, je m'y refuse. Quand la musique retentit, le silence s'installe autour de nous. Les membres du club ont créé une haie d'honneur, tous avec le poing sur le cœur. Furry, Fab, Marc ainsi que les autres membres portent le cercueil jusqu'au corbillard.
Et si mon cœur n'a pas déjà été brisé par son départ, ainsi que la fermeture du cercueil, le tableau de ces hommes portants le cuir le poing sur le cœur et les larmes aux yeux, a fini par me détruire. Comment a-t-il pu me cacher les liens si forts qui le liaient à ces hommes ? Je suis en colère contre lui de m'avoir caché cette partie de sa vie.
J'ai à présent l'impression de ne pas si bien le connaître, je ne peux m'empêcher de pleurer silencieusement. Mes larmes se mélangeant à la pluie et à cette odeur de béton mouillais qui emplit l'air.
Puis tout est allé très vite, le corbillard a démarré, escorté par les Harley et les voitures de la famille. Une forte odeur de gaz et de pot d'échappement emplit l'air. Je suis en voiture avec Fab, Tyler et ma mère quand il me dit :
– Le club organise un dernier hommage à ton père ce soir. Tu es invitée, mais j'ai dit à Furry que ce serait peut être trop tôt pour toi.
Il semblait hésitant.
– Tu es libre d'y aller si tu veux, et si ce n'est pas le cas il comprend. Ton père a laissé quelque chose pour toi là-bas. Tu y vas quand tu veux. Je t'aurai bien accompagnée, mais je rentre pour la Bretagne tout à l'heure. Si ça peut te rassurer, Marc sera présent. Tu as son numéro, n'hésites pas à l'appeler pour y aller avec lui.
On dirait qu'il essaie dans un sens de me pousser à y aller tout en me faisant comprendre qu'il vaut mieux ne pas le faire ...
– C'est gentil, mais je n'ai pas l'intention d'y aller. Je ne connais pas ces hommes, je n'ai rien à leur dire. Papa était proche d'eux, je n'en doute pas, mais ça n'est pas mon monde. Je veux retourner à ma vie normale.
La réponse est sortie toute seule. Je n'ai même pas pris le temps d'y réfléchir. Je suis trop en colère et triste pour l'instant. La tension dans la voiture est palpable.
– Je comprends, mais sache que le club était une grande partie de la vie de ton père, même si il n'était plus un membre actif depuis des années. Ils étaient sa famille, ses frères et ils seront toujours là pour toi. Même si personnellement je te conseille de rester loin d'eux par la suite.
Je commence à en avoir marre et à être fatiguée, le peu de patience dont je peux faire preuve est écoulée.
– Super ! Mais je n'en ai pas envie !! Il n'avait qu'à rester plutôt que de me laisser aussi vite ! Je me rends compte qu'au final je ne sais rien de lui, on n'a rien partagé et aujourd'hui je devrais être la gentille fille.. Je suis désolée mais ça n'arrivera pas ... et toi tu me les vends comme sa famille pour après me dire de rester loin d'eux !
Je ne comprends plus rien, mes yeux me brûlent atrocement à force de devoir retenir mes larmes, j'ai un mal de tête atroce et tout ce que je veux c'est dormir... Le silence retombe sur la voiture.
Tyler à côté de moi est tendu. Ce n'est pas son monde, plutôt tout l'opposé, lui c'est plutôt le sportif à la petite vie bien rangée. Papa et lui ont toujours été en conflit, et voir le club aujourd'hui l'a contrarié. Il me connaît et sous mes airs je m'en foutiste et arrogant, il sait très bien que l'envie d'en savoir plus me poussera à aller frapper à la porte du club un jour ou l'autre.
Je sais qu'il a peur et je ferais tout pour le rassurer parce que je l'aime, et que nos projets de mariage ont dû être suspendus suite au décès de papa. Je veux qu'il sache que rien ne change entre nous.
Une fois au crématorium, je me replie à nouveau sur moi même et me mure dans le silence. Je me ferme au monde, à mon entourage et à mes émotions. C'est la seule solution pour ne pas exploser. Certains membres de la famille ont fait un discours, puis vint le tour de Fab et enfin de Furry. Il s'est lancé la voix forte et sûre :
– Mike était mon frère, mon ami. Nous nous sommes connus un soir dans un bar, lui et son sale caractère. J'étais avec certains des membres quand après un coup dans le nez, il s'en est pris à l'un des nôtres. Après la raclée qu'il lui a mise, on s'est retrouvé à se marrer et boire un verre ensemble. Il avait 20 ans, j'en avais 16 et mon père était le président du club. À la suite de cela, il a intégré le club en tant que prospect, et on ne s'est plus jamais lâché. Il y a 4 ans il est venu me voir pour me demander de prendre sa retraite. Il voulait avoir plus de temps pour profiter de sa fille. Il savait son cœur fatigué, il voulait rattraper le temps perdu.. Je suis désolé qu'il en ai manqué. Je rends un dernier hommage à mon frère, ce grand homme.
Je veux parler moi aussi. Je me suis levée et dirigée devant l'assemblée. D'une voix tremblante j'ai commencé :
– Je m'appelle Mya Samson Evans. Je suis la fille de Mike. Il y a 4 ans, je me suis présentée à lui et j'ai découvert une personne dure et forte. Un homme incroyable. Je ne suis pas ici pour la famille, celle qui l'a rejetée pendant toutes les années qui ont passé et qui aujourd'hui sont là, à pleurer une personne qu'elles méprisaient. Je remercie les Shadow of the night, d'avoir fait de lui l'homme qu'il était, je les remercie de lui avoir offert une famille sur qui il a pu compter. Je ne vous connais pas, mais d'après ce que j'ai vu aujourd'hui il été important pour vous tous. Je regrette de ne pas avoir pu grandir à ses côtés, d'avoir si peu de temps auprès de lui. Je suis fière d'être sa fille.
Mon discours est nul et sans cohérence... Mon esprit est embrouillé, je suis en colère, triste, déçue et par-dessus tout : détruite. Je me suis assise à ma place, jouant nerveusement avec mon bracelet. S'en est suivi une messe longue à n'en plus finir, puis le cercueil a été emporté par les flammes.
À cet instant, j'ai su qu'une partie de moi était morte avec lui.
Plus rien ne sera comme avant. Mon cœur bat fort, trop fort. Mes mains sont moites, l'air me manque et l'odeur de suie me sèche la gorge. La suite est plutôt floue, je me souviens être monté dans la voiture et avoir posé ma tête contre la vitre froide côté passager, l'odeur des sièges en cuir emplissant l'habitacle.
Fab m'a déposé à la maison puis il est rentré en Bretagne. Tyler reste silencieux, dans son coin. Ma mère ne fait que pleurer, ce qui me tape sur les nerfs. Comment après tant d'années elle peut encore autant pleurer pour un homme dont elle ne m'a jamais parlé !
Comment peut-elle pleurer pour un homme qui ne fait plus partie de sa vie depuis 26 ans ! De qui elle m'a caché son existence... C'en est trop pour moi.
Je me lève de ma chaise, je mets mes chaussures pour sortir prendre l'air... Je ne sais pas où aller, j'ai juste besoin d'air.. Je me sens vide, triste et incroyablement seule.
Le froid du mois de décembre est rude et humide, la pluie a cessé depuis un petit moment mais tout est mouillé dehors. J'ai ce besoin d'évacuer le trop pleins d'émotions alors j'ai commencé à courir, vite, plus vite, toujours plus vite, toujours plus loin...
J'ai couru jusqu'à ce que mes poumons prennent feu de l'intérieur, que l'air ne me parvienne plus et que mes muscles se tétanisent.

Until the very endOù les histoires vivent. Découvrez maintenant