17 Décembre

4 2 0
                                    

Une voix.

Quelqu'un appelle mon prénom.

J'aime cette voix.

Elle est si douce...

"Lucia !"

J'ouvre les yeux difficilement. Il fait nuit. Je suis dans mon lit. Une odeur sucrée embaume mon nez et glisse sur ma langue.

Du sang.

L'énergie arrive d'un seul coup dans mes veines, et mes yeux s'écarquillent tandis que je lèche mes lèvres et mes canines.

J'en veux plus.

Tellement plus.

Je me redresse et laisse mon instinct me guider jusqu'à la source de ce délice. Je ne suis plus qu'un animal assoiffé lorsque je plante mes crocs dans la bouteille posées à mes côtés, remplie de sang. Je transperce sans effort le plastique et aspire goulûment le liquide qui me semble délicieux. J'avais si faim. Je vide les deux litres à ma disposition, et soupire d'aise en fermant les yeux. Sentir les gouttes de sang glisser sur ma peau, remplir mon corps, euphoriser mon esprit.

"Lu...Lucia ?"

Je fixe l'origine de cette voix, d'abord électrisée par la présence d'une proie, mais mon animosité se tait en un instant lorsque je rencontre les yeux apeurés d'Ornelia. Des ronces aux épines pointues encadrent son beau visage.

"Qu'est-ce que... qu'est-ce que tu fais ici ?

-Tu ne répondais pas au téléphone, je m'inquiétais... puis quand j'ai toqué la porte s'est ouverte je t'ai trouvée dans ton lit et j'ai cru... j'ai cru..."

Elle est terrifiée... mais pas par mon visage couvert de sang. Soudain la peur s'empare de moi. Je l'attrape par les bras pour vérifier si elle s'est coupée.

"Lucia tout va bien, je t'ai donné du sang que tu avais dans ton frigo... je ne savais pas quoi faire...

-Putain j'ai cru que tu t'étais ouvert les veines pour me nourrir...

-Non ! Certainement pas ! J'ai bien compris que c'était un sujet délicat pour toi, jamais je ne t'aurais donné du sang de fée contre ta volonté... mais qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?"

Je regarde autour de moi, redécouvre ma chambre.

"On est quel jour ?

-On est le 17, ça fait une semaine depuis... enfin bref.

-La petite mort.

-Quoi ?

-Mon état. Ça s'appelle la petite mort. C'est quand un vampire ne se nourrit pas et entre dans une sorte d'hibernation, proche de la mort sans y être.

-Mais Lucia c'est dangereux pourquoi t'as fait ça ?!"

Je ne réponds pas, me lève, et me dirige vers le lavabo de la salle de bain pour nettoyer le sang sur mon visage.

"Lucia je te parle ! Je suis peut-être gentille, mais je n'aime pas du tout qu'on m'ignore ou qu'on ne me réponde pas sur des sujets sérieux !

-Rentre chez toi. Je n'ai pas changé d'avis te concernant.

-Putain mais regarde moi ! Je suis là pour toi, je veux tellement me rapprocher de toi... tu comptes beaucoup pour moi, plus que ce que je ne peux me l'avouer. Parle-moi !"

Sans m'en rendre compte, ma main part d'un coup et brise la céramique.

"Te parler ? Pour te raconter quoi ? Que j'ai tué des centaines, des milliers de fées dans ma vie ? Que je les ai saignées en riant ? Que j'ai pris mon pied à les regarder hurler et pleurer avant que je ne les dévore ? Que putain oui j'adore le sang de fée, surtout quand la peur imprègne leurs veines ? Je suis un monstre Ornelia, j'ai torturé, j'ai tué, j'ai démembré, et j'ai aimé faire tout cela. La guerre est peut-être un passé lointain pour toi, mais moi je m'en souviens comme si c'était hier, je revis chaque moment dès que je ferme les yeux, je hume l'air dès qu'une fée passe près de moi comme un putain d'animal. Et toi... tu brilles si fort que tu me fais penser qu'on peut encore me sauver, mais il n'y a rien à sauver. Je vis uniquement pour tenir une promesse. Tu crois que je n'ai jamais pensé à te mordre ? Que je n'ai jamais pensé au goût que peut avoir ton sang ? Oh oui j'y pense. Alors reste loin de moi, et casse-toi de chez moi !"

J'ai hurlé mes dernières paroles, et je me suis rapprochée d'elle. Là, elle est en colère. Vraiment en colère.

"Tu peux me crier dessus autant que tu veux, tu ne me fais pas peur.

-Oh tu veux avoir peur pour enfin te tenir à distance ? Très bien."

Si je dois la terroriser, lui montrer les pires aspects de ma nature pour la sauver, ainsi soit-il.

J'attrape sa gorge et la plaque contre le mur. Ses sourcils toujours froncés, des roses qui éclosent dans ses cheveux, son pouls qui accélère sous mes doigts... ce n'est pas assez pour effrayer ma belle proie. Je ne voulais pas en arriver là, mais je vais lui montrer le véritable visage d'un vampire. Celui que personne de vivant ne peut se souvenir, puisque seules nos victimes le voient. Je libère entièrement mes crocs, laisse mes ongles pousser, je vois du coin de l'œil mes cheveux prendre leur couleur blanche comme la pleine lune, mes veines apparaissent sous ma peau laiteuse qui se craquèle comme de la porcelaine brisée. Elle a déjà vu ma forme nocturne, une séduisante prédatrice, mais jamais elle n'a vu l'animal avide de sang et de chasse. Son regard se décompose sous les traits horrifiques qu'a pris mon visage. Les ronces se mêlent aux roses dans ses mèches brunes, et je passe ma langue sur son cou pour goûter sa peau et sentir ses pulsations chaotiques. Mes canines effleurent sa jugulaire, et je me retiens de les planter profondément pour la vider de son sang.

"Arrête tes conneries, Lucia !

-Vaillante petite fée... si naïve... je pourrais te briser la nuque en un claquement de doigts, t'égorger en une demi-seconde, t'ouvrir d'ici, je dis en posant mon doigt sous son menton, à là, j'ajoute en glissant jusqu'à son nombril, et me repaître de tes entrailles. C'est ça que tu veux ?"

Je suis cruelle. Monstrueuse. La Lucia qui faisait la guerre. Ornelia ne dit rien, mais j'entends son cœur battre fort dans sa poitrine.

"Je te laisse cinq secondes pour sortir d'ici. Après quoi, je te prends en chasse, et si je t'attrape je te saigne comme j'ai saigné tes ancêtres."

Mes propres paroles me choquent. Je vais trop loin. C'est un mal nécessaire, la blesser pour la sauver, mais je ne me suis jamais autant détesté qu'à cet instant.

"Un."

Ornelia ne bouge pas, ne lâche pas mon regard. Elle est si courageuse...ou stupide.

"Deux."

Une larme coule sur sa joue. Je me retiens de l'essuyer puis de me confondre en excuses.

"Trois."

Sa main vient gifler ma joue, et même si je la vois arriver je me laisse faire. Je ne bouge pas d'un pouce, reprends mon compte.

"Quatre."

Ça y est, les larmes coulent les unes après les autres sur sa peau. Elle me hait. Je le vois. Elle ramasse ses affaires, et marche d'un pas lourd et décidé vers ma porte d'entrée. Elle l'ouvre, et s'arrête.

"Cinq."

Elle ne bouge pas. Alors j'arrive à toute vitesse pour la pousser hors de ma maison et fermer à clef derrière elle. Je l'entends m'insulter de l'autre côté, et je prends chaque insulte comme une bénédiction. Je l'ai éloignée de moi. Je l'ai sauvée. 

Éclat de lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant