𝙲𝙷𝙰𝙿𝙸𝚃𝚁𝙴 𝙳𝙴𝚄𝚇

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Retrouver l'ennui.

Paris

Une nouvelle année ici débutait. Comme un vieux film que j'avais déjà vu plusieurs fois. La même mélodie perfide et agaçante qui résonnait sans cesse dans mes oreilles, le son dissonant du même ennui qui venait me guetter chaque septembre.

Mon âme allait une nouvelle fois errer dans ces couloirs sombres, et mon corps allait suivre comme un idiot. Parce que je n'avais que ça à faire. À quoi bon revoir des choses que je savais déjà ? Ça me lassait. Assis sur mon lit, dans ma chambre du pensionnat, je me sentais vide. Comme toujours. Pourquoi n'arrivais-je pas à éprouver ne serait-ce que le malheur d'être ici à nouveau ? Mon cœur était une crevasse. Avais-je déjà ressenti quoique ce soit, de toute manière ? Je ne m'en rappelais pas. Peut-être une colère terrible contre l'univers, mais elle avait fini par faire partie de moi.

J'en voulais à tout le monde, même quand tout était en ordre.

Je fixais mes phalanges amochées. Au moins, je n'aurais plus à remettre certains trous du cul à leur place, c'était déjà ça. Revenir à St. George avait été pour moi une dure épreuve. Je n'aimais pas ce pensionnat, mais cette ville, je la détestais. La seule raison pour laquelle j'y étais encore une fois retourné cet été, c'était pour ma mère. Elle avait besoin de moi. Enfin, c'était ce qu'elle disait. Parce que lorsque j'étais à la maison, elle traînait dans l'appartement avec son allure de junkie et me laissait m'occuper de tout en répétant que j'étais un bon fils.

Je serrai les poings, la douleur qui déchira ma peau quand mes blessures se rouvrirent ne me fit même pas ciller. Je regardais longuement le sang se frayer un chemin dans les craquelures de mon épiderme avec une profonde indifférence.

On toqua à ma porte, je relevai péniblement la tête. Quelques instants plus tard, Chandler passa le pas de ma porte dans son uniforme. Il analysa les murs vides et le reste de ma chambre qui restait inchangée.

Chandler restait avec moi, tout le temps. Il était ce que je qualifiais de meilleur ami. Malgré moi, j'appréciais sa présence. Elle me faisait un peu oublier cette désagréable sensation d'être en vie.

— Salut mec, me dit-il en me tendant son poing.

Je me contentai d'entourer son poing du mien pour éviter de le salir de mon sang. Il remarqua facilement ce liquide rouge vif qui perlait sur mes phalanges.

— Où est-ce t'as encore été traîné ? me demanda-t-il en soupirant.

— Ça te regarde pas.

Il leva les yeux au ciel, comme s'il s'attendait à ma réponse. Reprenant un sourire encourageant, il me montra un cadre avec une photo à l'intérieur.

— Regarde, j'ai fait faire ça pendant l'été, c'est pour toi.

Il me le donna et je roulai des yeux, je n'avais pas l'habitude de recevoir des cadeaux, et encore moins d'exposer des cadres dans ma chambre. Dans ce dernier, il y avait une photo de nous deux. L'une des rares d'ailleurs. On y croyait voir le jour et la nuit. Les cheveux blonds de Chandler reflétaient la lumière du flash, son sourire inspirait toute la joie du monde, il avait l'air en mouvement, comme s'il sautait sur lui-même au rythme de la musique. Tandis que moi, j'avais l'air figé dans le temps à l'image d'une horloge dont les aiguilles ne tournaient plus. Mon regard noir aurait pu enterrer le photographe ; je n'aimais pas qu'on me prenne en photo, j'avais même horreur de ça.

— T'es pas sérieux ? lui demandai-je en haussant un sourcil.

— Arrête d'être aussi chiant, je le pose là.

All the Woodton suspectsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant