C'ÉTAIT EXACTEMENT 22h lorsque Noritaka Ōmura jeta un coup d'œil à sa montre. À 19h, le nomikai avait débuté dans l'izakaya Umeda, un établissement où il avait ses habitudes depuis vingt ans. Il connaissait parfaitement le gérant, M. Umeda Tsunekichi. L'échoppe était si petite et exiguë que tous les convives attablés devaient lever pour laisser passer leurs collègues désireux de se rendre aux toilettes ou au kitsuensho.¹ Les conversations se mêlaient dans un brouhaha assourdissant, où chacun interpellait son interlocuteur à grands cris.
Sa cravate desserrée et les premiers boutons de sa chemise ouverts, son chef de section, M. Ishihara, campait sur une chaise, dominant l'assemblée. Il exhibait sa montre connectée à l'Équipe B, vantant les merveilles de son nouveau gadget, associé à son tout nouvel iPhone flambant neuf. Exclusivement masculine, à l'exception de l'office lady Yukiko Ozawa, la dizaine d'employés adoubait son choix. En montrant la sienne, le jeune Genji Sumita sauta de sa chaise.
« J'ai acheté la même que la vôtre à Temu pour la moitié du prix, M. Ishihara, se vanta Genji.
— C'est de la camelote chinoise, renchérit Ishihara, hilare. Dans six mois, elle tombera en panne, alors que ma montre, un bijou fabriqué au Japon, continuera de fonctionner pendant cinq ans. »
Le sourire de Genji s'effaça lorsque Koizumi le contraignit à regagner sa place. Matsuoka le réconforta en remplissant sa pinte de bière. « Ça t'empêchera de dire des conneries plus grosses que toi, le petit nouveau, » lança le meilleur ami de Noritaka.
Dès qu'il eut posé son verre de 500 millilitres, vidé de son contenu, Nagano le remplit à ras-bord d'alcool. « Allez-y, Ōmura-san ! Cul sec ! » encouragea M. Ishihara au moment où Noritaka esquiva in extremis le coude de son supérieur.
Dans l'euphorie de ce nomikai, le chef de section claqua des mains avec entrain, incitant les autres employés de son service à se joindre à lui. Tout le monde l'invita à boire d'une même voix. Noritaka aurait préféré éviter, conscient que sa gueule de bois serait véritablement épouvantable le lendemain !
Avec un sourire de façade, Noritaka se leva de sa chaise et brandit sa pinte débordante en l'air. Les oreilles remplies d'acclamations, il porta sa pinte à ses lèvres et avala sa bière à grandes lampées. Une gorgée, puis une seconde, une troisième... Après la cinquième, il en perdit le compte. Alors qu'il accomplissait la prouesse de sa vie, les conversations se turent. Ishihara, complètement saoul, applaudissait à grands cris et lui tapa amicalement le dos, une fois sa pinte vidée.
« Ōmura-san, mon superviseur, a bu sa pinte de bière en neuf gorgées. C'est un exploit vraiment remarquable.
— Ma gueule de bois le sera tout autant, murmura Noritaka.
— Qui parmi les membres du Groupe Sakamoto peut se vanter de cela ? » s'exclama M. Ishihara, sans l'avoir entendu. « En tant que sous-section de Collecte d'informations, nous sommes la pierre angulaire du Groupe Sakamoto. »
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ALL UNDEAD | Dies Irae
TerrorLa pépiniériste française Rachel, le salaryman Noritaka et leurs futurs compagnons d'infortune mènent chacun leur existence sans se douter un instant qu'un destin tragique les réunira au Japon. Qu'ils soient ensemble ou en opposition, ils devront fa...