Chapitre 14 - Et joyeux Noël ! (2/2)

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Le repas démarra sur les chapeaux de roue. Les amuse-bouche furent engloutis à toute vitesse au rythme d'une conversation endiablée, arrosée par le rhum que tous avaient le droit d'ingurgiter sauf moi. Boudeuse, je sirotais ma version enfant du mojito de mon père sous l'œil amusé de Monica, qui faufila son buste entre Paul et la table pour me susurrer :

— Tu veux qu'on échange pendant qu'ils ont le dos tourné ?

— Ne dit-on pas que sans alcool, la fête est plus folle ? grommelai-je en mâchouillant un toast au foie gras.

— Ça ne vaut que pour les soirées où tonton Jean n'est pas convié.

Elle désigna de sa tête ornée de tresses notre oncle, qui discourait sur sa petite entreprise spécialisée dans l'énergie éolienne et donnait à mon père – propriétaire de son propre garage depuis des années – des leçons en matière de gestion. Ce fut plus fort que moi, je roulai exagérément des yeux, ce qui me valut un fou rire de Monica, qui s'affala sans retenue sur mon petit-ami.

— Vous exagérez, nous tempéra ce dernier dans un éclat de rire coupable. Peut-être que Jean va bien se tenir, ce soir ?

— On voit que tu ne l'as vu qu'à trois reprises, le détrompa Monica. Son cas est irrattrapable.

Bien malgré lui, l'intéressé nous en fit immédiatement la démonstration.

— Mais tu vois, Marius, c'est ça, ton problème : tu manques d'ambition, martela-t-il nos oreilles en même temps que la table. Il faut voir les choses en grand au risque de rester sur le carreau. Tu as eu la possibilité d'ouvrir un deuxième garage, il y a trois ans, mais le temps que tu te décides, cette chance t'est passée sous le nez. Il faut être à l'affût. À-l'af-fût., insista-t-il avec trois coups bien sentis sur le bois qui firent trembler tous les verres à pied.

— Oui, oui..., se contenta de marmonner mon père.

— Mais, mais... Il n'a peut-être qu'un seul garage, mais lui et Carole ont trois beaux enfants, tous brillants ! scanda naïvement ma grand-mère. Une future juriste, un futur historien et une future chirurgienne !

Au secours.

Ma grand-mère n'avait pas pu s'empêcher de venir à la rescousse de mon père, mais j'aurais préféré qu'elle le fasse sans donner pour preuve l'honorable carrière qui ne m'attendait certainement plus en médecine. Mes parents, bien conscients de mes notes déplorables, eurent la bonté de me lâcher un peu du leste en cette soirée de réveillon, esprit de Noël oblige.

Chris, qui se serait longuement gaussé de moi auparavant, n'esquissa qu'un vague sourire. Je savais très bien ce qu'il pensait : si ça se trouve, dans un an, ma petite sœur ne sera plus de ce monde.

Je lui envoyai un coup de pied furax sous la table.

Aïeuh !

Il se massa le tibia tout en me jetant un regard assassin. Tant mieux. Je préférais le voir énervé plutôt qu'à se morfondre à mon sujet.

— Il faudrait être fou pour désirer être soigné par une abrutie pareille ! alla-t-il jusqu'à rugir.

— Hé ho, du calme, les enfants ! nous rappela à l'ordre notre mère.

Elle qui appréciait de se faire complimenter sur sa marmaille, elle n'avait pas très envie que nous gâchions ce tableau d'enfants parfaits avec nos chamailleries.

— Chris a toutes les qualités d'un historien, le look vestimentaire en prime, me moquai-je.

Au regard pénétrant que mon frère me jeta, je sus qu'il m'avait percée à jour. Il prit sur lui, accepta de jouer encore un peu le jeu de la normalité :

Incandescence - Livre III - La fin de l'innocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant