Chapitre 16 - Un amour absolu

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Alors que Kitten s'avançait à pas lents dans la salle de bains, j'hésitais entre deux voies qui s'offraient à moi : appeler à l'aide devant cette violation flagrante de mon intimité – ne voyait-elle pas que j'étais en tenue d'Ève ? – ou m'engager dans un combat, certes les fesses à l'air, mais je pourrais enfin assouvir l'envie féroce que j'avais de la mettre au tapis depuis le début de la soirée.

En fin de compte, je ne fis ni l'un ni l'autre. Elle avait piqué ma maudite curiosité, et quelque chose chez elle m'incitait à la réserve. Une sorte de prestance qui réveillait la petite Alicia en moi. Elle avait parlé d'une conversation entre femmes ; avec elle, je me sentais telle une enfant qui ignorait tout de la vie.

Kitten, qui s'était débarrassé plus tôt de ses escarpins, foulait le parquet de ses pieds nus. Des petits pieds de princesse égyptienne, fuselés et harmonieux. La nature l'avait gâtée jusqu'à cette partie de son corps. C'en était rageant.

Tandis que nos deux images se reflétaient dans le miroir, tout ce qui nous différenciait éclatait au grand jour. Ma peau pâle, qui avait perdu son hâle estival ; sa peau de miel brun, satinée dans la mort. Mes cheveux raides comme la justice ; sa couronne de frisettes comme une gracieuse auréole. Mon corps musclé, forci par des heures et des heures d'entraînement ; ses courbes voluptueuses, qui étaient un appel à la sensualité.

Nous n'aurions pas pu être plus différentes et, pourtant, nous étions amoureuses du même garçon.

⸺ Comment as-tu fait pour entrer ?

Je n'étais pas encore folle, je savais que j'avais verrouillé la porte. Gregory aurait été capable de venir me chercher manu militari s'il jugeait que je mettais trop de temps à me nettoyer.

Pour toute réponse, Kitten me montra la pièce de monnaie qu'elle tenait entre son pouce et son index. Babines retroussées, elle la posa dans un tintement clair sur l'émail du lavabo. Je ne masquai pas ma stupéfaction, levant mes sourcils si haut qu'ils durent disparaître dans mes cheveux.

— J'allais me doucher, comme tu le constates, lui dis-je platement, incertaine encore quant à la marche à suivre.

— Ce ne sera pas long.

La main de Kitten effleura la vasque à la propreté irréprochable, avant qu'elle ne se barricade la poitrine des bras dans une attitude hautaine. La commissure droite de ses lèvres se redressa en un sourire dépourvu de chaleur.

— Je venais simplement m'assurer que tu ne te méprenais pas sur les intentions de Shawn.

Au moins, je pouvais lui reconnaître qu'elle n'y allait pas par quatre chemins. Mon cœur eut beau faire un salto vertigineux entre mes côtes, je ne bronchai pas. Au contraire, j'éclatai de rire devant son incroyable culot.

— Rien que ça. Et tu prétends que ça ne sera pas long ?

— Non, parce que je vais te dire exactement ce qu'il en est.

Ses bras retombèrent le long de son corps. Elle se rapprocha d'un pas, pointant un menton crâne dans ma direction, flamboyante dans cette robe rouge qui épousait chaque ligne de son corps.

— Je sais qu'il s'est passé quelque chose entre vous, attaqua-t-elle. Un moment d'égarement dans le feu de l'action. Une passade sans importance pour lui.

Premier uppercut, en plein dans le mille. J'accusai le coup, les traits affaissés et les poings agrippés à la serviette que je maintenais toujours drapée autour de mon corps.

— De ton côté, jeune comme tu es, tu dois t'imaginer follement amoureuse, poursuivit Kitten, s'improvisant psychologue pour adolescentes. Détrompe-toi : ce que tu éprouves, ce n'est pas de l'amour. Sinon, tu n'aurais pas essayé de le changer ainsi que tu l'as fait, avec cette brutalité et ce manque de délicatesse sans nom.

Incandescence - Livre III - La fin de l'innocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant