Chapitre 12 - Bygone (1/2)

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— Ça fait des années que je ne suis pas venue ici.

Laurine tournoya sur elle-même, envoyant valser sa longue chevelure blonde qu'elle avait attachée en queue de cheval.

Son regard attentif, dépourvu de son scepticisme coutumier, fut happé par la coupole qui nous surplombait à une trentaine de mètres de hauteur. Un véritable bijou d'architecture. Les élégants faisceaux s'entrecroisaient au cœur d'une rosace couverte de feuilles d'or, puis s'étiraient pour dessiner les branches d'une majestueuse étoile de verre.

Une douce lumière bleutée filtrait à travers les vitraux, qui conférait à l'entrée du musée des Beaux-Arts de HillVille le charme d'une église, cette solennité qui vous donne envie de marcher sur la pointe des pieds et de chuchoter pour ne pas déranger la beauté des lieux.

Néanmoins, je voyais si rarement Laurine ainsi, avec cette expression de fascination sincère, voire candide, que je ne pus résister au plaisir de la taquiner :

— Tiens donc, Madame est une passionnée d'art ?

— Ce n'est pas parce que tu ne connais pas le peintre Adei Damestoy que tout le monde est aussi inculte que toi, riposta-t-elle, rictus narquois à la bouche.

Laurine – 1, Alicia – 0. Visiblement, elle était en forme aujourd'hui.

— Ai-je besoin de te rappeler que je suis censée mémoriser le bagage culturel et historique de deux mondes différents ? marmonnai-je, la moue boudeuse.

Elle balaya ma réplique d'un revers de main tout condescendant.

— Des excuses, toujours des excuses...

Elle s'éloigna en me dédiant un haussement de sourcils victorieux et, si cet air supérieur m'aurait filé de l'urticaire autrefois, je l'accueillis à bras ouverts ce jour-là. J'en redemandais presque. Au moins, nos enfantillages m'empêchaient de trop songer à l'expression dévastée de Chris à l'issue de notre tête-à-tête.

J'essayais de ne pas songer au fait que j'avais probablement gâché le Noël de mon frère. De toute façon, le moment était-il jamais le bon, quand on devait annoncer à quelqu'un qu'on était l'objet d'une légende démoniaque que certains voulaient éradiquer, et d'autres accaparer pour quelque obscure raison ?

Non, ça avait été maintenant ou jamais. Le courage aurait fini par me déserter si j'avais attendu plus longtemps.

Pour me rattraper, je me promis d'être d'une humeur irréprochable toute la soirée. Et puis, avec l'entrée en scène d'Hyppolyte et mes parents qui recouvreraient leurs esprits cette après-midi, c'était une soirée en famille comme nous n'en avions pas connue depuis longtemps qui s'annonçait.

J'avais tellement hâte que j'en gigotais d'impatience.

Laurine nous précéda vers le guichet d'accueil du musée, foulant de sa démarche leste le damier de marbre noir et blanc qui répercutait la cadence de son pas décidé. Je sursautai quand Sandy, me rattrapant en quelques enjambées, coinça mon bras dans le creux du sien. Un sourire flottait sur ses lèvres rose pétale.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Rien, c'est juste que...

Elle s'interrompit pour écouter comment Laurine rappela à l'ordre la caissière qui, trop absorbée par un appel téléphonique, n'avait pas remarqué son arrivée. La Première Chasseuse secoua la tête, gentiment exaspérée ; sans doute pensait-elle que Laurine ne changerait jamais.

— Quand je vous entends vous chamailler comme ça, enchaîna-t-elle, son bras étreignant un peu plus le mien, j'ai l'impression que tout est comme avant. Ça me rend heureuse... comme ça me rend triste.

Incandescence - Livre III - La fin de l'innocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant