Chapitre 15 - Triangles amoureux (1/3)

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La journée de Noël se déroula dans une douce félicité.

Je revivais, tel le phénix renaissant de ses cendres, parce qu'enfin, je n'étais plus cette figure indéfinissable qui avait plongé mes parents dans un état de confusion à la moindre apparition. Fini, les moments d'absence pareils à des bugs informatiques. Les attentions que mon père et ma mère avaient pour moi me rappelaient à chaque fois que je n'avais plus besoin de me terrer dans ma chambre pour échapper à leur terrible indifférence.

J'existais, et ce bonheur effaçait tout le reste. Certes, je n'oubliais pas que mon destin m'attendait au tournant, mais je comptais profiter au maximum de cette accalmie bien méritée.

— Ah, fit ma mère en entendant le minuteur du four se déclencher. Les sablés sont prêts.

— Ne te dérange pas, j'y vais.

Je me décollai du canapé, et accessoirement de ma mère, blottie sous la couverture que nous partagions. Une délicieuse odeur de sucre chaud flottait dans la cuisine.

Le programme de la journée avait été parfaitement parfait. Grasse matinée pour nous remettre des excès de la veille, dégustation des restes en pyjama, confection de sablés à la vanille et visionnage de Bridget Jones, choix qui avait fait décamper mon père et mon frère mais qui me permettait de passer un moment privilégié avec ma mère.

Tout en chantonnant – écorchant – All by myself, j'enfilai le gant de cuisine et sortis la plaque de sablés en forme de lune du four. Leur parfum de beurre était si irrésistible que je ne résistai pas au plaisir d'en manger un tout chaud, bientôt rejointe par Chris, la sonnerie du four ayant miraculeusement couvert la musique tapageuse de son tout nouveau jeu vidéo.

— Ne me dis pas que tu as faim, me moquai-je.

Mes remontrances manquaient de crédibilité ; j'avais moi-même la bouche pleine.

— J'ai toujours de la place pour des gâteaux, riposta-t-il en enfonçant l'un d'entre eux dans son gosier.

Levant les yeux au ciel, je saisis un petit tupperware dans le placard, que je garnis d'une dizaine de sablés.

— C'est pour qui ? s'enquit-il avec une fausse innocence.

— Tu le sais bien, chuchotai-je de peur que ma mère ne nous entende. Tu peux le déposer dans ma chambre en remontant ?

— C'est pour ce soir, alors ?

Je lui avais dit que le prochain chapitre du film de ma vie, sobrement intitulé « Il faut sauver la Chasseuse Alicia », consistait à masquer cette foutue aura qui était une poucave ambulante. La réaction de Chris n'avait pas été à la hauteur de mes espérances. Dire qu'il n'était pas fan de Gregory était un euphémisme, et l'idée que je m'en remette à lui pour une série d'obscurs rituels le mettait dans tous ses états.

Je le pointai d'un index rigide :

— Ne recommence pas.

— Recommencer quoi ? se défendit-il avec une mauvaise foi qui ne me rappelait que trop la mienne.

— Tu essaies de me dissuader de le faire, mais je te le dis une dernière fois : aussi aberrant que cela puisse paraître, j'ai toute confiance en Gregory.

— Parce qu'il nous a sortis de ce songe maléfique ? fit-il, sceptique.

— Parce que Shawn a confiance en lui.

Même si le fait que j'aie confiance en Shawn lui plaisait tout aussi peu, voire encore moins.

— C'est ça, ton argument de poids ?

Incandescence - Livre III - La fin de l'innocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant