01 - L'appel de la rivière

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06 juillet - 14:00

Lucia

Les cloches de l'église sonnent. C'est l'heure de se retrouver, l'heure du bonheur.

En bas du sentier, une ombre se dessine sur les pavés. Je la reconnaîtrais entre mille. Ange traîne des pieds et je note d'ici que ses lacets ne sont pas faits. Ses lunettes de soleil en équilibre sur le haut de son crâne vont finir par se coincer dans sa tignasse blonde. Je m'imagine déjà en train de l'aider à les retirer, en prenant garde à ne pas trop tirer sur ses racines sous peine de devoir supporter ses lamentations.

Santa, postée sur le pont, le remarque et lance, non sans malice :

— Les tee-shirts, c'est trop cher ?

Ange s'arrête net et écarte ses bras nus. En plus de son short, il ne porte qu'une serviette de bain délavée autour du cou.

— C'est mon corps de rêve qui t'émeut, ma belle ?

Santa feint un rire et nous observons Ange monter les derniers mètres avec une lenteur exagérée. Il salue d'abord les sœurs Martinelli, avec son habituel ton moqueur :

— Vous allez bien, Tic et Tac ?

Ange n'arrête pas de dire qu'elles sont indissociables, ce qui n'est pas tout à fait faux. Elles ont dix-sept mois d'écart, mais on les prend souvent pour des jumelles. Récemment, Joséphine, la plus jeune, a teint ses cheveux en brun, contrairement à Santa qui les a gardés blonds. J'ignore si c'est pour aider les gens à les différencier ou pour se démarquer de son double qui prend naturellement toute la place.

Avec leurs parents, ils ont fui la chaleur de la ville dès ce matin. Le temps de les aider à faire les courses et aérer leur villa restée fermée depuis des semaines, elles ont enfilé leur maillot et se sont rué vers notre point de rendez-vous. Pour une fois, elles n'étaient même pas en retard.

La ronde des embrassades continue. Ange tape la main de Francè et lui fait une accolade dans le dos :

— Alors, frate, enfin installé ?

— Oui, il était temps !

Depuis le décès de son grand-père qui nous a tous profondément touché, Francè a décidé de retaper sa maison et de monter vivre au village. Ses parents, conscients de son mal-être à Bastia, ont consenti à le laisser partir à condition qu'il réussisse son année au lycée agricole. Tu parles ! Francè est un passionné. Depuis gosse, on sait qu'il va finir dans la montagne, accompagné de son bétail. Il hésite encore entre cochons et chèvres. Personnellement, je vote pour le cochon. L'espoir d'avoir de la charcuterie en continu me plaît bien.

Le blondinet se tourne enfin vers moi.

— Le meilleur pour la fin.

Il m'enlace et me soulève de terre. Je plonge ma tête dans son cou et prends une de mes doses préférées : mélange de peau, de déodorant et de cette fragrance unique qui caractérise mon meilleur ami. Je m'écarte et lui tape l'épaule :

— Je t'ai déjà dit que le parfum, c'est mauvais avec le soleil !

— Toi aussi, tu m'as manquée, Lucia.

Je lui embrasse la fossette que creuse son sourire.

— Un jour et demi sans moi, pas trop éprouvant ? ironise-t-il.

Ange avait décidé que venir en cours pour le dernier jour de l'année n'était pas utile. Évidemment, j'ai râlé. À côté de qui allais-je bien pouvoir m'installer pendant ces heures interminables avant le début des vacances ? Il m'a sorti tout un tas d'explications invraisemblables : il devait faire ses bagages, prévenir sa grand-mère de son arrivée (la connaissant, elle a tout prévu depuis au moins dix jours), ranger sa chambre en vue de son départ pour le village... Comme si j'allais le croire !

Le parfum salé d'un été qui se meurtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant