05 - Le saut de l'Ange

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11 juillet - 15:00

Lucia

Ange se mange l'intérieur des lèvres, le regard dans le vide depuis une bonne dizaine de minutes. Il n'a même pas remarqué que je le dévisage, attendant de capter ses prunelles. Je baisse un peu plus la tête afin qu'il se connecte à moi.

Ça ne va pas.

Je me lève et lui indique le bassin du dessus d'un signe. Il soupire et me suit. Nos pieds n'hésitent pas, nous connaissons ces rochers par cœur. Je m'assois au bord de la cascade, Ange se laisse tomber à côté de moi. Il ramasse ses genoux contre lui et demeure mutique.

Je pose mon menton sur son bras et continue mon interrogatoire taciturne, jusqu'à ce qu'il soit prêt à me répondre à voix-haute.

— Ça me soûle, finit-il par lâcher.

Ici, on est sûr que le bruit de l'eau qui jaillit couvrira notre discussion. Je sens qu'il va falloir que je lui tire les vers du nez.

— Qu'est-ce qui te soûle ?

— Carla.

— Encore une dispute ?

Il tourne la tête en direction de l'onde aux reflets émeraude et acquiesce en silence. Je déteste lire la tristesse dans ses yeux.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Comme d'habitude... Elle est distante et, dès que j'essaye de comprendre pourquoi, elle se braque, elle me dit que je me fais des films. Ça fait des jours que je lui propose qu'on se voie, mais elle a toujours une excuse.

Comment lui expliquer que la fille qui l'aime n'est pas faite pour lui ? J'ai l'impression d'avoir la même discussion en boucle depuis des mois. Je prends mes plus grosses pincettes pour lui montrer la réalité, mais je sais très bien ce qu'il va répondre.

— Peut-être qu'elle n'a plus envie de faire des efforts, mais ignore comment te le dire ?

— Je lui ai demandé, elle m'a juré qu'elle m'aimait.

— C'est bien beau de t'aimer, mais encore faut-il te le prouver...

Il se tait. Son visage habituellement détendu est marqué par la fatigue. Il a dû se coucher à pas d'heure. Je n'ai qu'une envie, le prendre dans mes bras et lui promettre que tout ira bien, que Carla finira par réaliser à quel point elle a de la chance de l'avoir. Mais ce n'est pas mon rôle de lui mentir. Non, mon rôle à moi, c'était d'être l'amie, celle qui écoute, qui rassure, qui soutient sans juger.

Sa vulnérabilité me brise le cœur. Pourtant, une petite voix en moi murmure : « Pourquoi elle, et pas toi ? » C'est idiot. Je balaie cette pensée d'un revers de main.

J'attrape ses joues et les lui masse avec douceur :

— Arrête avec cette bouche ! Tu vas finir par te mordre jusqu'au sang !

Un sourire s'esquisse, j'ai gagné.

— T'es plus beau comme ça !

— Je suis toujours beau.

— Pas quand tu boudes.

— Je te boude pas à toi.

— T'as pas intérêt !

Il m'accorde un de ces bisous baveux sur le front.

— Heureusement que je t'ai.

— Dis-toi une chose, je lui assure en l'enlaçant, on s'en fiche de Carla. T'en trouveras des bien mieux !

Le parfum salé d'un été qui se meurtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant