Les heures passent sans que le bruit ne cesse. Elle a tiré un trait sur ses révisions. A contre-cœur, elle s'est octroyé une journée télé. C'est une journée abrutissante qui lui convient, finalement. Elle est dans le salon, en pyjama avec une grosse couverture, histoire d'être confortable. Quelques fois, quand elle se met sous la couette et regarde des films, son esprit s'évade : elle pense à son ancienne vie de famille : petite, elle s'engloutissait sous la couette avec pour but de se frayer un passage entre ses parents. Un sentiment de sécurité épanouissant qu'elle n'a ressenti que trop peu de fois. Avec son père et sa mère, c'était un rituel familial qui se reproduisait tous les dimanches soir.
Aujourd'hui elle voit ses premiers films depuis deux semaines, seule. Il est seize heures et elle en est à son quatrième film de la journée : Le Ciel partagé, qui raconte l'histoire de Rita, une jeune étudiante qui, après un choc nerveux, quitte le l'endroit où elle effectue ses études pour retrouver son village natal.
Elle est si touchée par l'histoire de Rita que ce n'est qu'à la fin du film qu'elle remarque que la nuit commence à tomber. Elle est émue, certes, mais pour rien au monde elle arrêterait de travailler, elle. D'ailleurs, elle se sent coupable de cette journée infructueuse, comme quand on se reproche de craquer après avoir mangé un peu trop de chocolat lors d'un régime. Les ronflements de son invité n'ont toujours pas cessé. Elle se lève pour préparer le dîner.
Alors qu'elle coupe des oignons, elle entend la porte s'ouvrir. Marat a la barbe et les cheveux hirsutes.
- Qui a dit que le café empêchait de dormir ? dit le gaillard en s'étirant avec sourire.
Adèle ne manque pas de lui faire remarquer la cohue qu'il a faite en se moquant de lui.
- Oui ça fait longtemps que je n'ai pas aussi bien dormi. Désolé si je t'ai empêchée de réviser. Mais merci de m'avoir laissé dormir, j'en avais bien besoin !
Cinq minutes après, Marat est prêt à partir. Il fait déjà nuit noire et il n'a aucune envie d'abuser de l'hospitalité de son hôte. Il a rassemblé ses affaires, fait le lit. Il va remercier Adèle qui est en train de manger un repas copieux, pour une fois. Il réitère une pensée qu'il a eue.
« C'est une chanceuse, elle fait partie de ceux qui mangent à sa faim ».
Elle lui pose des questions sur son physique.
- Ça va déjà mieux, même si la douleur est toujours présente. Mais j'arrive enfin à poser le pied à terre. Merci pour tout, vraiment.
Elle se doute que Marat n'a pas d'endroit où dormir cette nuit, mais elle a peur de le froisser : « si je le questionne, il pensera que je le prends pour un SDF et que j'ai pitié de lui ». Elle se tait et le regarde enfiler son blouson.
Il la salue d'un baiser sur la joue et s'éclipse. Avec difficulté, son ombre traverse la nuit pour disparaître quelques mètres plus loin.
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Berlin 1974
Historical FictionBerlin 1974, en pleine guerre froide. Une allemande, qui étudie la médecine aide un SDF d'origine russe après que ce dernier aie fait une chute spectaculaire. Elle l'accueille chez elle le temps qu'il se rétablisse. Ils ont une connaissance en commu...