Chapitre un

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   Les enfants slalomaient autour des voitures stationnées sur le parking, ils criaient, ils s'amusaient. Les sirènes hurlaient de rétablir l'ordre au plus vite mais rien à faire, elles étaient devenues un cri banal dans ces banlieues surpeuplées, rejetées par la société. Leurs seuls visiteurs étaient la police municipale, ou la BAC dans certaines situations un peu coriaces. Mais un flic, c'est un flic. Un poulet ou un keuf, dans leur jargon, quelqu'un qu’ils veulent humilier parce qu'il représente l’État et l’État les humilie tous les jours à les laisser dans leur situation sans espoir, sans ligne d'horizon qui les laisserait apercevoir une vie un peu plus décente.

Malik est l'un de ces enfants. Il a dix-neuf ans, la puberté en effervescence, il siffle quand une demoiselle passe, comme ses aînés ; il joue le brave et le fier pour impressionner. Il ne va plus à l'école depuis deux ans. Lui, il veut devenir quelqu'un. Quelqu'un qu'on respecte, qui n'a de compte à rendre à personne ; au contraire, c'est lui qui donne les ordres. Il distribue la cam et envoie ses sous-fifres vendre la merde pour se faire du pognon. Son casier judiciaire est resté vierge, jusque là. Comme lui d'ailleurs. L'amour c'est pour les nuls. Et de toute façon, toutes les filles du quartier restent chez elles à faire des tiktoks qui volent bien bas. Non, Malik n'a pas besoin de ça pour être heureux. Tout ce qui l'intéresse, c'est les jeux vidéos, les copains, et le fric facile.

- Malik ! Derrière toi !

Le jeune homme se retourna et fit face à l'un de ces flics essoufflés venus mettre un peu d'ordre dans leur quartier. Enfin, essayer. Il fallait bien connaître les lieux pour leur échapper et leur mettre le seum. Malik sourit. Quand il était petit, il voulait devenir cascadeur, comme dans les films. Il s'était entraîné dans sa chambre, en regardant des vidéos de cascades, de courses de rue, de parcours sur les toits. Une fois il avait essayé, mais cette fois-ci, ce n'était pas le matelas de son lit qui avait amorti sa chute et lui éviter de se retrouver dans un lit d'hôpital.

  Il mesura la vigilance du policier avant de déplacer furtivement son pied gauche pour attirer l'attention de ce côté-ci, alors qu'il partit dans l'autre sens. Il fit le tour de l'immeuble, courut entre les bosquets et les arbres qui étaient là pour rendre l'endroit un peu plus vert, un peu moins bétonné. C'était également de bonnes planques. D'ailleurs, quand tous ces enfantillages seront terminés, il faudrait venir chercher le fruit de ses ventes. Il déboucha sur l'un des parkings qui entouraient la banlieue où il habitait. Les flics étaient postés sur le parking opposé, il n'y avait donc aucune chance d'en rencontrer un autre que celui qui le suivait à la traîne.

  C'est à ce moment-là que Rosetta tourna la tête et jeta son regard par la fenêtre. Elle abandonna son enveloppe pleine de billets pour aller voir ce qui se passait dehors. Elle vit ce jeune homme courir de toutes ses forces au bout du parking ; ses cheveux noirs se balançant au gré de la vitesse de course, sa peau brune brillant au soleil déjà haut dans le ciel. Le policier déboucha à son tour, hors d'haleine, essayant tant bien que mal de suivre sa proie. Il pouvait toujours essayer, il n'avait aucune chance face à ces gamins de quartier. Au moment où elle voulut retourner à ses occupations, elle vit plus distinctement le visage de ce garçon. Il avait les yeux noirs, ses lèvres charnues dessinaient un sourire espiègle sur son visage fin. La voiture de la police s'arrêta pour récupérer leur collègue, mettant fin à cette course folle et sans espoir. Et elle finit par entendre sa voix.

- La rue est à nous ! Rentrez chez vous !

Une voix grave mais douce à la fois. Elle cligna des yeux un instant, faisant tourner cette phrase dans sa tête pour se souvenir du timbre de sa voix. Des mots simples, qui ne lui étaient même pas destinés. Comment se fait-il qu'elle ne l'avait jamais vu auparavant ?

Elle retourna à son bureau pour compter ses billets, le gain d'une semaine de dur labeur. Rosetta était ce qu’on appelait, dans l’expression la plus polie, une fille de joie. Elle n’avait pas choisi cette destinée par gaieté de cœur, plutôt par nécessité.

L'amour est ta plus grande richesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant