Tout ce que je ne t'ai jamais dit

chapitre 1

Mathias se dirigea vers le comptoir.
Il était propriétaire depuis cinq ans du bar à vins "aux bons amis ". Durant toute son enfance, et jusqu'à ce qu'il reprenne l'affaire, le bar appartenait à ses parents. A l'époque, il était un restaurant très réputé de la rue Notre Dame dans le quartier des Chartrons. Haut lieu de la gastronomie bordelaise, le tout Bordeaux se pressait pour venir déguster des spécialités du terroir et boire de grands crus. Mathias se souvenait avec nostalgie du temps passé au restaurant, quand il n'était encore qu'un gamin, à courir entre les tables. De cette époque, il en gardait de merveilleux souvenirs qui le faisait sourire à chaque fois qu'il y repensait. Quand ses parents lui avaient confié l'affaire, il avait conservé le nom de l'établissement, mais avait changé le concept et relooké les lieux. On consommait toujours des produits régionaux d'excellente qualité tels que des huîtres, du foie gras, du jambon de Bayonne et autres fruits de mer cuisinés à la plancha accompagnés de grands crus bordelais, mais les tapas sur ardoise avaient remplacé les assiettes et les couteaux. Désormais l'ancien restaurant était un bar à vins aux allures de loft  New-yorkais. L'affaire marchait à merveille. Dans cet endroit, un peu bobo, se côtoyaient des gens de vingt - cinq à cinquante ans, dans une ambiance feutrée et cosy, au rythme de morceaux de soul, de blues et de jazz.
Mathias déboucha un grand cru de Pessac Léognan pour fêter la nouvelle de Pénélope.
- Bon Péné, c'est moi qui offre ma belle.
Léa, Bertrand et Mathias trinquèrent à la santé de leur amie.
Pénélope était la meilleure amie de Léa depuis une quinzaine d'années. Elles s'étaient rencontrées sur les bancs du collège et ne s'étaient plus jamais quittées. Pourtant leurs caractères étaient tellement opposés..
Pénélope était une jeune femme sublime avec des jambes interminables et de longs cheveux noirs de geai qui faisaient ressortir ses grands yeux verts. Elle était d'une excentricité folle et se moquait du regard des autres.
Artiste dans l'âme, elle se passionnait pour le théâtre depuis sa plus tendre enfance et faisait partie d'une troupe bordelaise au succès grandissant.
Léa, venait de fêter ses trente ans . Petite brunette au regard pétillant rêveuse et idéaliste, elle avait confiance en la vie et aimait ce qu'elle avait construit avec Bertrand. En couple depuis dix ans, ils avaient emménagé ensemble cinq ans auparavant. Pour leurs amis, ils formaient le couple idéal. Pourtant, depuis quelques temps, Léa se posait des questions. Elle avait l'impression que Bertrand lui cachait des choses. Lui, d'habitude si patient et aimant, entrait depuis peu dans des colères noires pour des choses sans importance. Il était de plus en plus distant avec elle à tel point qu'elle finissait par se demander s'il n'avait pas quelqu'un d'autre dans sa vie.
Ce soir encore, ils s'étaient disputés avant de rejoindre leurs amis. Léa ne se souvenait plus du sujet de désaccord tellement celui-ci était absurde. Elle avait parfois l'impression que Bertrand la poussait à bout pour la forcer à le quitter. Mais elle l'aimait tellement. Elle voulait plus que tout construire sa vie avec lui, avoir des enfants avec lui, une vie simple emplie de joie, de routine, de gâteaux d'anniversaire, de soirées au coin du feu... Voilà la vie dont elle rêvait. A plusieurs reprises, elle avait essayé de lui parler. Elle cherchait à comprendre les raisons de son comportement. Mais à chaque fois, il lui servait le même discours. " Tout va bien. Je suis juste un peu fatigué. Mais je t'aime, tu le sais bien." Et bien non justement. Elle ne savait plus s'il l'aimait. Ce soir encore, elle le trouvait distant, absent. Les yeux dans le vague, il faisait semblant de s'intéresser et de prendre part aux conversations. D'ailleurs, tout le monde avait remarqué. Elle avait bien vu les regards de ses deux amis quand Bertrand avait répondu à Pénélope. Elle en reparlerait avec lui le lendemain. Ce n'était ni le moment, ni l'endroit. D'autant qu'ils commençaient tous à être un peu éméchés. A deux heures du matin, l'établissement ferma ses portes. Comme à son habitude, le petit groupe d'amis quitta la terrasse extérieure du bar pour s'installer à l'intérieur autour du comptoir en bois flotté garni de bouteilles de tout âge. Mathias ferma les stores et les amis continuèrent leur soirée jusque tard dans la nuit, refaisant le monde, assis sur des tabourets en fer forgé.
- Vous vous rendez compte, si ça se trouve, dans quelques temps, je serai célèbre. Pénélope parlait fort, rigolant à tout va. Elle avait le don d'apporter de la légèreté à la vie. Léa fit semblant de la prendre de haut.
- Et alors, qu'est ce que tu veux dire par là? Tu ne nous adresseras plus la parole, c'est ça?
- Mais non ma chérie. Toi, tu es ma meilleure amie. Par contre, les deux zozos, je ne sais pas trop... il faut que je réfléchisse.
Mathias, amusé par la spontanéité de Pénélope, entra dans son jeu et lui mit un petit coup d'épaule.
- Non mais ça va toi ? T'as pas trop les chevilles qui enflent?
- Non ça va. Tu sais ce qu'elles te disent mes chevilles ?
Pénélope jeta un regard insistant en direction de Bertrand. Mais qu'avait-il à la fin ? Elle voyait bien que quelque chose clochait et elle était bien décidée à le faire parler. Elle était comme ça Pénélope. Franche, entière. Elle avait besoin d'exprimer ce qu'elle pensait. Tout devait être dit.
- Bon, qu'est ce que tu as toi ce soir ? Tu fais la gueule ou quoi? T'es chiant et inintéressant là. Dis le si mon bonheur te saoule...
Pas le temps de finir sa phrase, Bertrand se leva précipitamment de son tabouret et la fixa droit dans les yeux. Cette fois, elle en faisait trop.