An 1440
Kan ne l'a pas réalisé – et je ne suis pas certaine qu'il s'en rendra compte un jour – mais il est la personne la plus forte, la plus courageuse, et la plus gentille que je connaisse. Toutes ces années, il a gardé, porté sur ses épaules, des secrets si lourds ! Et je sais, malheureusement, qu'il en a encore. Non, il ne s'en rend vraiment pas compte, mais il est un héros. Un de ces héros de l'ombre, qu'on découvre seulement des années après leur mort.
Journal intime de Téonary Naryn, an 1434.𝓤ne porte claqua, réveillant en sursaut Kan. Déboussolé, il lui fallut une seconde pour réaliser que la chose dure sous sa joue était en réalité son bureau, une autre seconde lui fut nécessaire pour se rendre compte qu'il s'était endormi sur son travail.
Il cilla, tenta de remettre ses idées en place. Tout en se redressant, il grimaça pour de nombreuses raisons : déjà, à cause de son cou douloureux, ensuite, devant l'état de ses vêtements froissés. En passant la main dans ses cheveux, ses doigts se retrouvèrent plus ou moins coincés, et pas besoin de miroir pour deviner la présence de sombres cernes soulignant ses yeux.
En résumé, il était parfaitement présentable.
Tout en réorganisant ses dossiers, il bâilla à s'en décrocher la mâchoire. Par tous les dieux, il était vraiment à l'ouest, ces derniers temps. Plus qu'avant, en tout cas.
Kan se leva pour se dégourdir les jambes, alla se poster près de la fenêtre. Dehors, les quelques passants pressaient le pas pour éviter de s'attarder, les enfants criaient moins en jouant, comme s'ils tendaient l'oreille. Les rues étaient bien différentes de celles de son enfance à Monocle.
Normal. Cela faisait huit ans. Huit ans, que l'Astriale était en guerre. Tant de morts, tant de personnes envoyées au combat. Kan n'aurait jamais pu l'imaginer, enfant. Jamais.
Il grinça des dents, s'arracha une petite peau au bout de son doigt, dans un tic impossible à chasser. Était-ce sa faute ? Était-ce à cause de lui que la guerre était si violente ? Il ne savait pas. S'il avait parlé à temps, s'il avait été confiant, y aurait-il eu moins de morts ? Il ne savait pas non plus.
Derrière lui, on frappa à la porte, doucement.
– Entrez.
– Bonjour, père.
Kan se retourna, avant de sourire à sa petite fille de bientôt six ans, Elibeth. Craignant certainement de faire tomber à terre son contenu, la petite fixait le plateau entre ses mains. Attentive, elle vint le poser délicatement sur le guéridon, lâcha un soupir rassuré.
– Bonjour, Beth.
– Je me suis dis que vous auriez peut-être faim. Vous avez pas beaucoup mangé, hier soir, et vous êtes parti très tôt, fit Elibeth en se tournant enfin vers lui, les bras dans le dos.
– Je te remercie pour ton attention, ma grande.
Satisfaite d'elle, Elibeth se détendit, puis lui offrit un sourire où il manquait quelques dents. Elle l'embrassa rapidement sur la joue, le salua, avant de filer, sans manquer de claquer la porte dans sa gaîté. Bon, Kan savait désormais qui l'avait réveillé.
Il s'installa dans son fauteuil, prit la tasse de kaffeh fumant et lui brûlant les paumes. Tout en soufflant dessus, il jeta un coup d'œil à la porte, derrière laquelle s'élevaient les conversations animées de ses autres enfants.
Kan avait deux garçons, en plus d'Elibeth. Le plus jeune, Lulien, allait bientôt fêter ses trois ans. Il gazouillait en permanence, ne restait jamais calme. Kan se demandait souvent de qui il tenait cela — car il était clair que ni Delfina, ni lui, n'étaient aussi excités. Sional, son autre fils, avait presque huit ans. Et il s'agissait sans aucun doute de la plus grande surprise de Kan.
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L'Astriale - Les Masques de l'Eté T3 [EN COURS]
Fantasi"Ils étaient quatre. Tous sont impliqués dans la guerre. Plus que jamais, leurs vies sont liées entre-elles. Kan ne souhaite qu'une chose : la paix dans son pays. Qu'importe les secrets, qu'importe les manipulations, il est prêt à tout pour offrir...