Chapitre 15 : Jake

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Le cours de pâtisserie fût éprouvant. Je suis fatigué, j'ai des vertiges. Je me retiens au plan de travail pour na pas tomber. Ça fait maintenant un moment que je suis sujet à ce mal mais j'avoue que je préfère ne pas y faire attention. Je pense que le manque de sommeil et de nourriture dans mon estomac ne me réussit pas. Sans compter, que la pâtisserie, même si ce n'est pas un sport, peut se révéler éprouvante. Seuls ceux qui n'ont jamais eu à faire un dessert en moins de temps que cela est nécessaire vous serviront ce genre de mensonge.

Je repense à ce geste déplacé de Peter. Il s'est tout de même permis un geste très intime alors qu'on se connaît à peine. Et son regard... Un regard pétillant de bonheur. Le bonheur de l'instant, celui de me déstabiliser. Il avait l'air de s'amuser à faire ça. Ses gestes étaient tendres et de loin, on aurait probablement pu se méprendre sur ses intentions. De toute façon, les gens peuvent jaser, ce qui compte réellement, c'est que Peter et moi sachions intérieurement que nous sommes de simples amis.

Mon égarement m'a valu de rater le départ du groupe pour la cafétéria. Je rassemble rapidement mes affaires, défait mon tablier puis le fourre dans mon sac. Je presse le pas. J'ai faim. Les portes du paradis s'offrent à mes yeux. Devant moi l'enfer. Julian Hale en compagnie de tout un groupe d'étudiant. Les rires fusent, ils discutent dans la joie et la bonne humeur. Je le vois évoluer dans un milieu complètement différent que celui de notre collège en France. Il est à l'aise. Cela se voit, ça se sent, je le sens. Il écoute les conversations avec attention et les ponctuent de remarques pertinentes et ironiques ce qui provoque l'hilarité générale. Soudain ses iris vertes émeraudes me transpercent. Je sens que je suis passé au crible. Il ne lâche pas mon regard. Le sien semble vide de toute émotion, j'y entrevois presque du mépris. Franchement, qu'est-ce que je lui ai fait pour qu'il commence à se comporter comme ça avec moi ? J'ai été bien naïf de penser que les choses pourraient changer en venant à Bloomington. Il va me poursuivre jusqu'à me faire craquer et que je lâche prise.

Je pousse les portes de ce que je nommerai le restaurant des plaisirs et excès. Sans surprise, le cliché américain se dévoile à moi. Sur les tables de services, de multiples mets sont à dispositions mais principalement de la junkfood. Burgers, frites, hot dogs, sandwichs, bagels. Je ne manque évidemment pas de faire un arrêt au stand des desserts où j'espère y voir mon tiramisu. Il est là. Je le reconnais en un clin d'œil puisque j'y ai laissé un signe distinctif. J'ai fait des rainures à la fourchette sur la poudre de cacao. C'est le seul qui en est paré. Je prends donc un morceau du produit façonné de mes mains et de celle de Peter puis me dirige vers les tables.

Je sors de ma bulle. Le bruit m'enveloppe et je scrute les environs à la recherche d'une table où je pourrais m'éloigner au mieux de cette cacophonie. Je sens soudain une main sur mon épaule puis je me fais happer jusqu'à un groupe de personne que je reconnais rapidement. J'identifie rapidement l'auteur de ce kidnapping. Sans surprise, c'est Peter. Les autres élèves attablés ne sont autres que ceux qui ont eu cours de pâtisserie avec moi ce matin.

Les conversations vont bon train. Les autres m'ont félicité pour le cours de ce matin. Apparemment j'ai fait forte impression au chef Gaudichon. Je les remercie puis me mure dans le silence comme à mon habitude. Je n'aime pas particulièrement être le centre de l'attention, je suis plutôt du genre à m'effacer. Le repas passe rapidement. Perdu dans mes pensées, je n'ai presque pas toucher à mon assiette. En réalité je n'ai pas très faim. J'ai du mal à trouver l'appétit en ce moment. Si Jane était là, elle ne manquerait pas de se moquer de moi et demander si je ne suis juste pas amoureux. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que ça fait longtemps que je le suis. Je suis amoureux de mes démons et putain qu'est-ce que ça fait mal.

Tout le monde se lève pour aller débarrasser son plateau. Je suis le mouvement lorsque je suis pris d'un vertige. Je sens que je vais défaillir. C'était sans compter les mains qui viennent se placer sur mon épaule et dans le creux de mes reins pour me maintenir ancré au sol. C'est Peter. Qui d'autre ? Il est très prévenant et attentionné avec moi depuis que je suis arrivé. Je lui suis reconnaissant et le remercie. Lorsque je plante mon regard dans le sien, je crois y déceler de l'inquiétude. Cela m'est confirmé par le sourire pincé qu'il affiche.

- Jake, est-ce que tout va bien ?

- Oui Peter, ne t'inquiète pas, je suis simplement fatigué et je n'ai probablement pas assez mangé.

- D'accord.

Nous nous apprêtons à sortir de la cafétéria lorsque je le sens. Du moins sa présence. Il s'approche. J'en suis certain. Même sans le voir, j'ai appris à savoir quand il s'approchait. C'est probablement un mécanisme de défense que mon corps a développé après toutes ces années. Je décide néanmoins de le confronter. Je ne m'attendais pas à ça. La haine déforme son visage, ses pupilles sont voilés par la rage. La nuit est tombée dans la cafétéria. Je me sens acculé. Je ne peux plus bouger. Je suis paralysé par la peur. Je m'arrête de respirer. Et tout s'arrête.

Personne ne saitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant