Chapitre 1 - Bienvenue au Camping des Fleurs Bleues

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Il fait nuit noire lorsque je quitte le ferry, bien installée dans ma petite voiture rouge qui s'apprête à braver la route corse, ses virages en épingles et ses conducteurs à moitié dérangés. On m'avait déjà prévenu, mais c'est toujours surprenant de se faire doubler à plus de 120 km/h en plein tournant, dans une route de montagne mal éclairée, par un as —fou— du volant, dont le véhicule immatriculé « 2A » raconte déjà tout ce qu'il y a à savoir sur le personnage. Le trajet qui sépare Ajaccio de Porto-Vecchio n'est pas des plus compliqués, mais je remercie tout de même mes huit ans de permis qui m'ont évité une sortie à la Thelma et Louise dès le premier tournant.

Il est vingt-trois heures passées lorsque j'arrive au camping qui m'accueillera pour les quatre prochains mois. Je franchis la grande arche où « Bienvenue au Camping des Fleurs Bleues » est écrit en larges lettres d'un turquoise criard et plisse les yeux face à l'éclairage de l'entrée trop violent à mon goût. Je m'en remets ensuite au gardien de nuit pour récupérer les clefs de ma future demeure. Le Monsieur n'est pas bien commode et, visiblement mécontent de devoir jouer au concierge avec les nouveaux saisonniers, il ne déborde pas non plus d'amabilité. Après un furtif « C'est quoi ton nom ? » à moitié grommelé, il jette sur son bureau une clef qui doit m'être destinée et clôture notre charmant petit échange par un signe de tête accompagné d'un « À gauche, tout au fond » qui sonne à mes oreilles comme un gentillet « Casse-toi de là, tu m'emmerdes ».

La saison débute à peine et à cette heure-ci, le camping est complètement désert. La plupart des logements semblent encore inoccupés et les animations n'ont sans doute pas encore débuté. C'est donc dans un labyrinthe mal éclairé et peuplé de maisonnettes en bois que je m'avance, roulant au pas au volant de mon petit bolide rouge, à la recherche du fameux camp de saisonniers apparemment situé « À gauche, tout au fond ».

Malgré les minces indications du gardien, je repère finalement sans grand mal la rue de mobile homes d'où provient une vive lumière et une musique aux basses tonitruantes. Ce chahut me confirme que le camping doit bel et bien être dépeuplé en ce 31 mai. Impossible que le molosse qui gère les entrées et sorties quelques centaines de mètres plus loin soit du genre à laisser des petits jeunes salariés foutre un tel bordel une fois les vacanciers arrivés.

— Mais vous allez la baisser, votre musique à la con ?!, s'égosille une voix.

Voiture garée et premières valises en main, j'hésite presque à faire marche arrière pour ne pas débarquer en pleine guerre de voisinage. Mais la musique baisse aussitôt, plusieurs voix glissent en chœur un timide « Désolé » et une porte se referme en claquant. L'altercation semble terminée et le poids de mes bagages commençant à se faire ressentir, je décide de m'avancer vers mon nouveau chez moi.

Douze mobile homes sont alignés là, six de chaque côté d'une allée centrale pas bien large où s'accumule déjà quelques déchets et restes de soirées en tout genre. Les luminaires extérieurs sont presque tous allumés, éclairant de plein fouet les deux tables en plastique où quatre filles disputent une partie de cartes visiblement bien animée.

— Tu as triché !

— Non mais n'importe quoi !

— Si elle a raison, t'as triché ! Bois !

— De toute façon, je ne comprends rien aux règles !

— Ça, on l'avait bien remarqué !

— Allez bois ! Cinq gorgées !

— Cinq gorgées ?!

— Oui cinq gorgées !

— C'est vous qui essayez de tricher là, non ?!

La gouvernanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant