Chapitre 27: Les confidences nocturnes

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La nuit était tombée depuis longtemps, enveloppant la ville d'une tranquillité rare. Les rues, habituellement animées, étaient maintenant désertes, éclairées seulement par les réverbères épars. Cléa et Timothée marchaient en silence, profitant de la fraîcheur de la nuit. Ils s'étaient souvent retrouvés ainsi, errant dans les rues après que le tumulte du jour se soit éteint.

Vers minuit, ils atteignirent leur destination habituelle : un petit parc oublié, au cœur de la ville. Au centre se trouvait un banc, vieilli par le temps et les saisons, mais c'était leur refuge. Ils s'y assirent, Cléa repliant ses jambes sous elle, Timothée s'étendant nonchalamment.

Cléa tourna la tête vers Timothée, ses yeux brillants dans l'obscurité. « Tu ne parles jamais de ton enfance, Timothée. Comment c'était pour toi ? »

Timothée esquissa un sourire, un mélange de nostalgie et de mélancolie. Il fixa un instant les étoiles, cherchant par où commencer.

« Mon enfance... » murmura-t-il, ses pensées se déroulant comme un vieux film. « C'était à la fois simple et compliqué. »

Cléa resta silencieuse, attendant qu'il continue.

« J'ai grandi dans une petite maison en périphérie de la ville, » commença-t-il. « C'était une vieille bâtisse, un peu délabrée, mais pour moi, c'était un château. Ma mère faisait de son mieux pour la maintenir en état, même si les temps étaient durs. Elle travaillait dur, souvent tard dans la nuit, pour s'assurer que nous ne manquions de rien. »

Il marqua une pause, les souvenirs l'envahissant.

« Mon père, lui, était... différent. Il était là, physiquement, mais toujours absent d'une certaine manière. Il passait plus de temps au bar qu'à la maison. Quand il était là, c'était souvent pour se disputer avec ma mère. Ces disputes... je m'en souviens comme si c'était hier. »

Cléa posa doucement sa main sur celle de Timothée, un geste silencieux de soutien.

« J'ai appris à m'occuper de moi-même assez tôt, » continua-t-il. « J'avais un petit coin à moi dans le grenier, avec une fenêtre qui donnait sur le ciel. J'aimais m'asseoir là et regarder les étoiles, m'imaginant des mondes où tout était possible, où la vie était moins compliquée. »

Un léger sourire adoucit ses traits. « Et puis, il y avait cette bibliothèque . Il appartenait à mon grand-père, apparemment. Je l'ai trouvé un jour, caché sous un tas de vieilles couvertures. Je ne savais pas comment cette passion pour des mots , un univers . Cléa écoutait, fascinée. Elle pouvait imaginer le petit garçon, seul dans son grenier, trouvant du réconfort dans la musique.

« C'était mon échappatoire, » dit Timothée, les yeux perdus dans le passé. « Chaque fois que ça devenait trop difficile à la maison, je montais dans le grenier et je lisais . La lecture m'aidait à oublier, ne serait-ce que pour un moment, la réalité de ma vie. »

Il secoua la tête, comme pour chasser un souvenir particulièrement douloureux. « Les choses ont empiré quand j'avais dix ans. Mon père a perdu son emploi, et il a commencé à boire encore plus. Les disputes étaient de plus en plus fréquentes, et de plus en plus violentes. Un soir, après une énième dispute, il est parti et n'est jamais revenu. »

Cléa serra un peu plus fort la main de Timothée, sentant la douleur dans sa voix.

« Ma mère... elle a fait de son mieux pour nous élever, moi et ma petite sœur, » reprit-il, sa voix se faisant plus douce. « Mais c'était difficile. Très difficile. Nous avons dû déménager plusieurs fois, chaque fois dans des endroits de plus en plus petits, de plus en plus précaires. Mais malgré tout, elle ne s'est jamais plainte. Elle gardait toujours le sourire, toujours un mot d'encouragement pour nous. »

Il prit une profonde inspiration, les yeux fermés. « C'est elle qui m'a appris la vraie force. Pas celle des muscles, mais celle du cœur et de l'esprit. Elle m'a appris à ne jamais abandonner, peu importe à quel point les choses peuvent sembler insurmontables. »

Cléa sentit une larme rouler sur sa joue, touchée par la résilience de Timothée et de sa mère.

« Et ta sœur ? » demanda-t-elle doucement.

Timothée sourit tristement. « Ma sœur, Lucie, était la lumière de ma vie. Elle avait cinq ans de moins que moi, et elle était toujours pleine de joie et d'enthousiasme, même dans les moments les plus sombres. Elle avait cette capacité à voir le bon côté des choses, à trouver de la magie dans le quotidien. »

Il marqua une pause, son sourire s'effaçant. « Mais la vie n'est pas toujours juste. Lucie est tombée malade quand elle avait huit ans. Une maladie rare, que les médecins n'ont pas pu diagnostiquer correctement. Ma mère a tout fait pour la soigner, mais... »

Sa voix se brisa, et Cléa sentit son propre cœur se serrer.

« Elle est partie peu après son neuvième anniversaire, » termina Timothée, la voix à peine audible. « Ce fut le moment le plus difficile de ma vie. Perdre Lucie, c'était comme perdre une partie de moi-même. »

Cléa resta silencieuse, ne sachant quoi dire pour réconforter Timothée. Elle se contenta de rester à ses côtés, lui offrant sa présence et son soutien.

Timothée prit une profonde inspiration, essayant de reprendre contenance. « Après ça, ma mère et moi avons encore déménagé, essayant de laisser derrière nous les souvenirs douloureux. Mais où que nous allions, le manque de Lucie était toujours là, comme une ombre qui nous suivait. »

Il se tourna vers Cléa, un sourire triste aux lèvres. « C'est à ce moment-là que j'ai vraiment plongé dans l'écriture . Elle était devenue ma seule échappatoire, mon seul moyen de faire face à la douleur. J'ai travaillé dur, très dur, pour maîtriser cet art de manier les mots , pour pouvoir exprimer ce que je ressentais à travers mes traumatismes . »

Cléa hocha doucement la tête, comprenant parfaitement ce besoin d'exprimer des émotions à travers la lecture .

« L'écriture m'a sauvé, » dit Timothée, sa voix plus forte. « Elle m'a donné un but, une raison de continuer à avancer. Et aujourd'hui, quand je lis , je le fais pour Lucie, pour ma mère, et pour ce petit garçon dans le grenier qui trouvait du réconfort dans les étoiles et les différents univers et personnages . »

Cléa se pencha vers Timothée et l'embrassa doucement sur la joue. « Merci de m'avoir raconté tout ça, Timothée. Je sais que ce n'était pas facile. »

Timothée sourit, touché par la sincérité de Cléa. « Merci de m'avoir écouté. Parfois, il suffit de partager pour alléger le fardeau. »

Ils restèrent assis en silence pendant un moment, profitant de la quiétude de la nuit. Le parc semblait hors du temps, un havre de paix où les souvenirs pouvaient être partagés sans crainte.

« Tu sais, Cléa, » dit Timothée doucement, « je crois que chacun de nous a un banc quelque part, un endroit où il peut se retrouver, se confier, se reconstruire. Ce banc, ici, ce parc... c'est notre refuge. »

Cléa hocha la tête, sentant la vérité dans les mots de Timothée. « Oui, et je suis contente de pouvoir partager ce refuge avec toi. »

Ils restèrent encore un peu, assis côte à côte, à contempler les étoiles, laissant la nuit et les souvenirs les envelopper. Peu importe ce que l'avenir leur réservait, ils savaient qu'ils avaient trouvé en l'autre une oreille attentive et un cœur compréhensif, un refuge dans l'obscurité.

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