CHAPITRE • 3

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Les auditions pour cet atelier prétendument prestigieux se déroulent dans un bâtiment de brique très ordinaire, coincé au bout d'une impasse, dans le centre-ville.

Tout en me dirigeant vers la porte, je ne peux pas m'empêcher de songer aux horribles mésaventures de jeunes aspirantes à la célébrité qui, après avoir vendu leur âme à la grande machine industrielle de la K-pop, se sont fait escroquer, exploiter, ou se sont retrouvé exclaves de chaînes sans scrupules pendant de longues années, entravées par des contrats abusifs. Le plus souvent, les seuls souvenirs que ces filles ou hommes conservent de leur carrière, ce sont leurs espoirs brisés et des montagnes de dettes.

Une fois ma candidature en ligne acceptée, j'ai reçu un courriel détaillant les conditions de mon audition, et un lien vers une petite chorégraphie à apprendre afin de la présenter aux juges.

Dans la vidéo que j'ai soumise avec mon dossier, je me suis surtout concentrée sur le chant, ma voix étant mon meilleur atout. A l'époque de Sweet Cadence, j'étais la moins bonne danseuse du trio, malgré les interminables entraînements que je m' imposais. Je n'ai pas le talent naturel de Candie ni la formation classique de Mina, si bien qu'au fil des deux semaines qui viennent de s'écouler, j'ai du répéter chaque enchaînement un nombre incalculable de fois, jusqu'à ce qu'ils se gravent dans ma mémoire musculaire et jusque dans mes globes oculaires. A chaque fois que la musique s'arrêtait, un florilège des commentaires insultants qui m'ont tant blessée par le passé tournait en boucle dans mon esprit.

<< ON POURRAIT PAS LA REMPLACER, SVP? MARRE DE VOIR SA TRONCHE. >>

<< ENCORE UNE FILLE DE..., SA MÈRE EST UNE PRODUCTICE CELEBRE. >>

<< FOUTEUSE DE MERDE ! COMPARRÉ A BRAILEY, TU N'EST RIEN ! >>

<< JAMAIS VU UNE FILLE AUSSI ARTIFICIELLE ET DEPOURVUE DE TALENT !!! >>

Je n'ai pas parlé des auditions à ma mère ; elle serait partie en vrille, en mode total manager, et aurait aussitôt embauché une armada de profs et de consultants qui se seraient déchaînés sur mon entraînement. Ou pire: elle aurait appelé les organisateurs de Workshop pour exiger qu'on me recrute sur-le-champ. Elle n'était pas productrice de Sweet Cadence, mais elle s'était incroyablement investie pour m'obtenir ce rôle, répétant sans cesse qu'elle avait des tonnes de contacts au studio. A-t-elle influencé la sélection? Je me le demande encore aujourd'hui.

Cette fois, je veux me prouver que je suis capable d'y arriver. Seule.

Pourtant, devant mon reflet dans la porte vitrée, ma résolution vacille. Le mong tee-shirt très ample et le legging que j'ai choisis me laissent une totale liberté de mouvement et dissimulent ma prise de poids pourtant pas bien grande...je dois faire 50 kilos maximum. Des petites mèches s'échappent déjà de mon chignon, et mes traits sont moin d'atteindre la perfection irréaliste et photoshopée que le monde entier attend des idols de la pop asiatique. Je ne suis qu'un visage désespéré, de plus, noyé sans un océan saturé de beauté et de talent.

Ces derniers temps, je ne souris pas beaucoup. Je ne suis plus la préadolescente idéaliste, enivrée par le glamour du show-business, accro à l'attention des fans qu'engendre la célébrité. Cependant, certains aspect me manquent, je ne peux pas le nier.

La scène, par exemple. Les lumières. Les fans. Les mantras et les rituels d'avant spectacle, en coulisse. Les répétitions en studio, tard la nuit, et les mises en place au petit matin, sur le plateau. Le plus dur, c'est d'avoir perdu le sentiment de faire partie de quelque chose d'important et de bien plus grand que moi.

•IDOLS•Où les histoires vivent. Découvrez maintenant