CHAPITRE • 2

4 1 0
                                    


PRÉSENT


Ces derniers temps, lorsqu'il m'arrive d'être reconnue, je ne suis jamais dans une tenue élégante ni dans une situation avantageuse. Par exemple, quand une journaliste de la chaîne TMZ trouve le moyen de me prendre en photo sous l'angle le moins flatteur du monde, à l'instant précis où je mords dans un bourrito. Ou alors c'est un ancien fan qui m'aborde chez Kroger, au moment où je suis plantée devant les armoires à surgelés, en pantalon de survêt' et tongs, les cheveux gras parce que mon dernier shampoing remonte à trois jours.

La dame qui me tourne autour en me devisageant discrètement, tout en faisant semblant de choisir une boîte de gaufres, en est la représentation parfaite. Elle attend que je laisse tomber une sixième barquette dans mon Caddie avant de m'approcher d'un air hésitant.

- Excusez moi, je ne voudrais pas vous déranger, mais j'ai une petite question : je ne vous aurais pas déjà vue à la télé? Vous savez, dans la série sur ce groupe de musique de Pop asiatique?

Elle ne semble pas se souvenir de mon nom ni du titre de la série; c'est une porte de sortie toute trouvée. Pour me soustraire à ce potentiel désastre social, la meilleure solution serait de répondre poliment : << Non, désolée, je crois que vous vous trompez.>>

Mais je souris largement, et ma réponse jaillit sans que je parvienne à me retenir.

- Mais oui, c'est bien moi !

Ma voix grimpe automatiquement dans les aigus, mon registre habituel pour paraître plus jeune et plus amicale.

Elle émet un petit cri extatique.

- Oh! Ça alors! Dites, vous voulez bien faire une photo avec mes filles? Rien qu'une ? Elles vous adorent!

- Bien sur!

La part rationnelle et digne de ma psyché m'abandonne avec déception, tandis que la portion la moins noble de ma personnalité prend le dessus, toujours aussi avide de l'approbation des étrangers.

- Audrey! Anya! Venez vite! hurle la dame. Venez voir qui j'ai rencontré, vous n'allez pas le croire!

Deux préados surgissent d'un pas bondissant à l'autre bout du rayon. Des mèches violette illuminent les boucles de la première, tandis que de longues dreads bleues zèbrent la haute que de cheval de la seconde. Elles n'ont probablement pas plus de douze ou treize ans, mais elles possèdent déjà un sens du style impeccable, et leur superbe maquillage est digne d'une publicité Sephora. J'imagine que la dernière vidéo se danse qu'elles ont postée sur les réseaux à dû faire huit cent mille vues. Elles représentent la nouvelle génération d'influenceuses, prêtes à écraser les cendres de ma carrière sous leurs sneakers strassées.

- C'est Candie! Vous adorez son émission!

J'ai l'impression d'encaisser un coup de poing à l'estomac, et je me mords l'intérieur de la joue.

Au sommet de notre popularité, on nous confondait très souvent, Candie et moi. A l'époque, la simple idée que les gens puissent trouver une ressemblance me rendait heureuse.

Il m'a fallu du temps pour comprendre que cela signifiait surtout qu'aux yeux du public, nous étions interchangeables.

La mère me présente comme si elle dévoilait une magnifique récompense. Sur le visage des deux ados, un carambolage d'émotions se succèdent au ralenti. La surprise, en premier ; puis elles me reconnaissent, et l'inquiétude apparaît, suivie par la déception et par un insupportable malaise. Et enfin, la pitié.

Boucles violettes tente de rectifier.

- Euh, maman, non, c'est...

- Et elle est très gentille! Elle a accepté de prendre une photo avec vous ! proclame la dame.

•IDOLS•Où les histoires vivent. Découvrez maintenant