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« On compatit d'autant plus à un malheur qu'on est plus impuissant à le soulager. »

Dans Dix épines pour une fleur, petites pensées d'un chasseur à l'affût (1853) de Adolphe d'Houdetot. 

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Septembre s'était doucement éclipsé pour laisser Octobre approcher, prospérer, et décliner. Le dernier jour du mois résonnait depuis quelque temps dans les esprits. En cause ? La préparation de la fête annuelle dénommée Samhain avait occupé les habitants, de la capitale au reste du pays.

Samhain était une commémoration qui se tenait tous les trente-et-un octobre, pour célébrer le jour où la frontière entre l'au-delà et le monde réel était la plus mince. Depuis des temps immémoriaux, cette croyance folklorique menait les vivants à rendre hommage aux défunts, même si la pratique de l'hommage n'avait pas manqué d'évoluer au fil du temps.

Quand la nuit s'assombrissait, que les corbeaux croassaient, le feu de joie sur la place publique resplendissait. Depuis l'armistice, une nouvelle coutume avait été intégrée en réponse aux nombreux morts à déplorer. Si les vivants étaient prêts à laisser partir un défunt qui leur était cher, il fallait jeter dans le brasier une couronne de fleurs, pour que sa combustion libérât le trépassé et guidât ses pas vers sa réincarnation. Dans le cas contraire, si les sentiments et la douleur étaient encore trop présents pour que les vivants pussent lâcher prise, il leur fallait rentrer dans leur demeure pour préparer un repas à l'intention des disparus qu'ils retenaient, et les veiller jusqu'au bout de la nuit.

En prévision de ce jour, Lily et Lycorus avaient été fortement occupés. La demande de couronne de fleurs était telle qu'ils avaient dû veiller tard pour honorer toutes les commandes, et ouvrir le magasin toute la journée pour pouvoir procéder à leur distribution. Désormais que la boutique était fermée en fin d'après-midi, Lycorus finissait le ménage pendant que Lily était montée à l'étage.

Quelques jours auparavant, elle lui avait expliqué toute la symbolique derrière l'ignition des couronnes de fleurs, ou alors la confection d'un repas pour ces êtres disparus. Cette fois-ci, Lycorus pouvait appréhender la situation sans asséner de nombreuses questions à la fleuriste, et au vu de son comportement, il se disait que c'était pour le mieux.

C'était infime, mais l'androïde sentait que quelque chose était différent chez Lily. Depuis plusieurs jours, et particulièrement depuis le matin, elle était souvent absente, à dévisager le vide devant elle. Quand il lui adressait la parole, elle sursautait. Quand il la frôlait, elle s'écartait. Sans parler de ses sourires ; les rares qu'elle parvenait à esquisser cachaient des milliers de tracas qu'elle se refusait à partager avec le monde. Lycorus avait seulement pu l'observer du coin des yeux, et guetter. Il avait guetté qu'elle ne s'effondrât pas devant lui, guetté qu'elle ne s'écroulât pas au milieu de la boutique, car c'était l'impression qu'elle lui avait donnée depuis qu'ils s'étaient dits bonjour au matin : elle semblait fragile.

Lycorus s'était porté volontaire pour ranger tout le désordre dans la boutique, et Lily n'avait pas rechigné. Au contraire, elle avait accepté bien facilement – trop facilement – et s'était dirigée d'un pas lent vers le premier étage. Chaque marche avait craqué lourdement sous son passage, quand d'ordinaire son pas était énergique, trahissant la fougue de la jeunesse qui l'habitait et la motivation avec laquelle elle œuvrait toujours.

L'androïde observa par la fenêtre, son balai à la main. Dehors, l'obscurité débutait son règne, accompagnée de ses sujets qui remontaient les rues parées de décorations fantaisistes, pour s'attrouper sur la place publique la plus proche. Les enfants étaient maintenus en laisse par la poigne sévère de leurs parents, qui s'échinaient à faire respecter le silence nécessaire à l'intronisation de la nuit. Des conversations s'élevaient de-ci, de-là, mais le sens profond de la commémoration imprégnait dans les esprits la nécessité de révérer la paix et la tranquillité.

LycorusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant