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« La loi ignore presque le droit. Il y a d'un côté la pénalité, de l'autre l'humanité. »

Dans L'Homme qui Rit (1869) de Victor Hugo.

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La fin du mois de septembre était encore relativement chaude. Le soleil brillait, nimbait les pavés cahoteux d'une douce lueur, réchauffait les quelques passants enveloppés d'une fraîche brise de mer. Rester enfermé par un temps si splendide serait un crime que Lily ne souhaitait pas commettre, raison pour laquelle elle demanda à Lycorus d'installer une large table devant la boutique.

Des tiges de lierre, divers échantillons de fleurs dans un vase, deux paires de ciseaux, du scotch spécifique, et deux tabourets furent disposés sur et autour de la table pour permettre aux deux fleuristes de travailler.

— Oh, vous vous êtes installés dehors ? s'étonna une voisine qui partait dans sa quête sacrée des courses au vu de son panier vide à la main.

— Oui, il fait un temps magnifique, vous ne trouvez pas ? renchérit Lily.

— Je suis bien d'accord avec vous, vous faites bien ! Voyez tous ces gens venir pour vous, vous allez être sacrément occupés ce matin ! se moqua gentiment la dame avant de s'éloigner avec un signe de la main.

Comme l'avait dit la voisine, dans la rue, leur petit étal attirait l'œil. De nombreuses personnes approchèrent, désireuses d'acheter quelques couronnes ou des fleurs coupées, ou simplement de discuter avec la très aimable Lily.

Les sourires s'affrontaient et redoublaient de franchise et d'authenticité à l'approche du stand improvisé. Les conversations allaient bon train. Des petits groupuscules d'individus se formaient dans la ruelle peu passante où la boutique était située. L'agitation affriolait de nouveaux chalands, interpellait les voisins qui se joignaient aux éclats de voix emplis de gaieté. Au centre de cette effervescence, Lily saluait tout un chacun, échangeait des mondanités, proposait des couronnes de fleurs à ceux qui avaient prévu une balade en direction du cimetière.

Lycorus se contentait d'observer ce spectacle de loin. Ce n'était pas la première fois qu'il assistait à ce genre de phénomène, pourtant il était tout aussi subjugué. Lily constituait l'élément essentiel de ce petit rassemblement spontané. Sans elle, ces intéractions sociales ne se produiraient pas. Et l'automate était sûr d'une chose : la demoiselle resplendissait.

Elle n'était pas férue de mode et revêtait sans cesse la même robe, celle qui était si sobre et blanche qu'elle incarnait la pureté. Même dans cette tenue quotidienne, l'astre solaire semblait bien pâle comparé à sa silhouette. Tous n'avaient d'yeux que pour elle, buvant chacune de ses paroles, guettant chacun de ses gestes, scrutant chacun de ses sourires. Cette Lily que tous épluchaient était l'incarnation de la joie de vivre et d'un roc inébranlable. Elle était le stéréotype de la jeune femme qui avait réussi à trouver le bonheur au sortir de la guerre. Elle aimait son travail, elle aimait ses voisins, ses clients, son colocataire artificiel. Elle faisait passer les sentiments des autres avant les siens, et n'hésitait pas à tendre la main. Elle était une idole.

Mais Lycorus s'interrogeait. Dans quelle mesure cette Lily qu'elle montrait au monde était la vraie Lily ?

Cette pensée inattendue le détourna de la réalité juste assez longtemps pour qu'un petit malin chaparde une couronne de fleurs présentée sur le stand improvisé. Le corps de Lycorus réagit par lui-même, des automatismes enfouis ressurgissant à l'appel de l'adrénaline artificielle. Il divisa la foule, sur les talons du jeune voleur, sa poigne mécanique s'abattant sur le bras du malandrin. Un enfant. Âgé d'à peine une dizaine d'années. Le petit garçon blond se débattait tant qu'il pouvait, mais Lycorus ne faiblit pas. Dans sa main, une couronne de fleurs, preuve de son méfait.

LycorusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant