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« La mesure de l'intelligence est la capacité de changer. »

Citation attribuée à Albert Einstein.

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Novembre était bien installé quand survint le moment tant attendu par Lycorus : sa maintenance obligatoire au bout de deux mois. Chaque androïde confié à un citoyen ordinaire se voyait obligé de se présenter à la base militaire où ils avaient été créés – la seule base militaire équipée pour leur entretien.

Une automobile à la pointe de la technologie s'était présentée au matin devant la boutique, et avait transporté l'androïde sous les exclamations curieuses des passants. Lycorus s'était maintes fois interrogé sur le paradoxe que représentait sa propre existence dans ce pays qui lui paraissait arriéré. Pour les gens du commun, une automobile – qui n'était finalement qu'une carcasse de métal propulsée par une source d'énergie à la fois polluante et non renouvelable – était vue comme le summum de l'innovation. Pendant ce temps, Lycorus se pavanait avec une intelligence artificielle intégrée, son corps entièrement automatisé et animé par des algorithmes complexes.

Cela démontrait sans l'ombre d'un doute que des technologies bien plus poussées existaient, mais demeuraient méconnues du grand public. « Secret défense » clignotait dans son esprit. Ce à quoi s'ajoutaient probablement des brevets non encore tombés dans le domaine public. La base militaire en elle-même en était la preuve la plus parlante : un immense bâtiment construit à flanc de montagne, loin de toute civilisation. Des contrôles sophistiqués étaient effectués avant que quiconque ne pénétrât dans l'enceinte des vingt-cinq hectares de terrains militaires. Voix, empreintes digitales, rétines ; ces trois choses étaient vérifiées pour décliner l'identité du visiteur. Toute personne non autorisée se voyait sans ménagement renvoyée à la route la plus proche, quand les plus heureux pouvaient franchir les contrôles et rejoindre le bâtiment lourdement gardé. Lycorus, de par sa qualité d'androïde, faisait partie de cette seconde caste. Il disposait des plus hautes autorisations possibles dans cette enceinte, et aucun accès ne lui était dénié.

S'approchant du hangar qui abritait le matériel de maintenance, Lycorus annonça sa présence à la personne chargée de l'accueil des androïdes et de leur répartition en cette journée spéciale. Il fut dirigé dans l'angle de la pièce, où celle qui l'avait reprogrammé avant de le laisser arpenter un monde en paix était située.

— Bonjour, Camélia.

Assise dans un fauteuil blanc sur lequel elle s'amusait à tourner, une grande dame à la silhouette élancée et aux cheveux châtains, perpétuellement attachés en une queue de cheval, lui sourit.

— Bonjour... (Elle attrapa son calepin sur lequel la liste des androïdes était notée.) Numéro 0004582512, c'est bien ça ?

— C'est exact. Mais vous pouvez m'appeler Lycorus maintenant.

Il s'assit sur le tabouret en face d'elle, et les yeux marron de la dame s'attardèrent sur sa silhouette.

— Tu as été nommé ?

— Oui, pourquoi ? Je ne devrais pas ?

— Au contraire, c'est une bonne chose. C'est juste que tu es le premier. Les autres se font encore appeler par leur numéro de série.

Lycorus fut étonné d'entendre une telle chose. Étant donné que Lily l'avait nommé dès leur première rencontre, il pensait que c'était également le cas pour chaque androïde. Comment pouvaient-ils s'intégrer dans la société s'ils se faisaient encore appeler par leur numéro de matricule ? Il jeta un regard aux alentours, aux autres automates qui étaient venus pour leur révision. Étaient-ils tous une suite de chiffres parmi la population humaine ? Peut-être Lily l'avait-elle trop influencé, mais il était content d'avoir été individualisé.

LycorusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant