Aline

Chapitre 1 _ La nuit des silences

La pluie s'abattait sans relâche sur les pavés de Nantes, transformant les ruelles étroites en miroirs d'argent sous la lumière tremblotante des réverbères. Les gouttes d'eau frappaient le sol avec une régularité presque hypnotique, créant une mélodie naturelle qui se mêlait aux bruits lointains de la ville. Les fenêtres des bistrots, éclairées de l'intérieur, projetaient des éclats dorés dans l'obscurité, offrant des refuges temporaires aux âmes errantes de la nuit.

Élisabeth Berger, une jeune femme de 25 ans, traversait la ville d'un pas rapide, ses talons hauts claquant contre les pavés mouillés. Sa silhouette élancée, enveloppée dans une robe de velours noir qui mettait en valeur ses formes gracieuses, se découpait dans la lumière tamisée des réverbères. Ses cheveux bruns, soigneusement coiffés, étaient désormais mouillés par la pluie, collant à son visage pâle.

Elle jeta un coup d'œil furtif en direction de la petite maison de briques où elle vivait avec sa fille, Annie. La maison, modeste mais entretenue avec soin, était plongée dans l'obscurité, les volets fermés et la porte solidement verrouillée. La lumière de la chambre d'Annie, située à l'étage, était éteinte, signe que la petite dormait probablement, bercée par le bruit de la pluie.

Un soupir de soulagement échappa à Élisabeth. Pour un instant, elle laissa son esprit vagabonder vers des pensées plus légères. Elle s'imagina Annie, avec son sourire innocent, en train de rêver à des mondes merveilleux, loin des tracas du quotidien. Mais cet instant de paix fut de courte durée. Le monde intérieur d'Élisabeth était en proie à un tumulte constant, une bataille silencieuse entre ses aspirations pour un avenir meilleur et les réalités impitoyables de sa vie actuelle.

Ce soir-là, une opportunité se présentait à elle, une chance d'offrir à Annie quelque chose de plus que des promesses vides. Un client influent, un homme d'affaires, l'attendait dans un vieux bistro du centre-ville. C'était un rendez-vous crucial, une chance de sécuriser l'avenir d'Annie, ne serait-ce que temporairement. Le poids de cette décision pesait lourd sur ses épaules, mais Élisabeth savait qu'elle n'avait pas vraiment le choix. Le regard insistant de la pauvreté et de la nécessité l'avait conduite à ce point, et elle devait maintenant jouer son rôle.

Elle consulta sa montre en argent, un cadeau d'un admirateur d'une autre époque, et accéléra le pas. Les pavés glissants rendaient sa démarche difficile, mais elle avançait malgré tout, déterminée à arriver à l'heure. Chaque pas résonnait dans la nuit, comme une cadence qui la menait inexorablement vers une réalité qu'elle préférait ne pas affronter.

Le bistro où elle avait rendez-vous avec son client était un lieu discret, bien caché des regards indiscrets. À l'intérieur, l'atmosphère était feutrée, les lumières tamisées créant une ambiance intime. La musique jazzy flottait dans l'air, une mélodie douce jouée par un vieux juke-box au fond de la salle.

Le bistro était rempli de clients, certains trop absorbés par leurs verres pour prêter attention à ce qui se passait autour d'eux, d'autres échangeant des rires et des conversations animées.

Mais Élisabeth se dirigea sans hésitation vers une table au fond, où l'attendait un homme d'une cinquantaine d'années.

L'homme, M. Dupuis, était un habitué des lieux. Ses cheveux grisonnants et son visage marqué par les années témoignaient d'une vie bien remplie. Ses yeux, autrefois pleins de vivacité, étaient maintenant ternis par le temps et les excès, mais ils s'illuminèrent légèrement en apercevant Élisabeth. Il se leva pour l'accueillir, un sourire cordial mais calculateur aux lèvres.

« Bonsoir, mademoiselle Berger, » dit-il en lui tendant la main. Élisabeth la serra avec une fermeté discrète, sa propre expression indéchiffrable.
« Bonsoir, M. Dupuis, » répondit-elle en s'asseyant à sa place, les plis de sa robe se déployant élégamment autour d'elle.