Pour Mademoiselle Juliette D.
Il était une fois oh je m'en souviens encore, elle, cette fille, cette jeune demoiselle, avec sa longue chevelure dorée, qui tombait en cascade le long de ses épaules, ses yeux saphir, ses dents nacrées et son sourire qui jamais ne quittait son visage, je me souviens de cette rencontre, de ces instants, c'était en deux mille six, le vingt-quatre octobre, il y a maintenant soixante-dix ans, un jour de fête ou plutôt une nuit, oui, une nuit de pleine lune ; c'était une nuit avec une lune d'une telle majesté qu'elle semblait briller de son propre éclat, qu'elle semblait de sa lumière avaler la face du monde et l'infinie obscurité ; dans cette étrange clarté, ébloui même par celle-ci, je me promenais dans le jardin, encore euphorique de la fête en la demeure, pour m'enivrer de parfums ; je me promenais donc parmi les hêtres émeraude et les charmes tapissés d'or fin, entre bosquets, fourrés et taillis de jade, dans ce jardin semblable en tout point à celui des Hespérides ; enfin presque, au centre de ce jardin, nul arbre aux fruits merveilleux, non aucun, mais une fontaine de marbre blanc ; sublime, extraordinaire, incroyable, je m'en souviens très bien ; des Cupidons l'ornaient de leurs silhouettes angéliques, pointant leurs arcs dorés sur le cœur vide et froid d'une délicate et immobile Aphrodite ; ce fut à ce moment que j'ai remarqué, une jeune personne, un être tombé des cieux, une ingénue comme moi, à peine sortie de son œuf et les cheveux encore bouclés, désordonnés comme à la naissance, à l'air, encore un peu enfantin ; une fillette d'une dizaine d'années ; je me suis approché d'elle, doucement, sans mouvements brusques, calmement, et je lui ai parlé de ma voix la plus douce, de ma voix la plus tranquille, mais sans effet ; elle me regardait alors avec ses grands yeux turquoise, ses beaux yeux turquoise, avec une peur palpitante dans son regard ; après plusieurs secondes de face-à-face silencieux avec l'étrange demoiselle, après plusieurs minutes même je me remis en chemin, laissant la jeune fille dans la tranquillité de sa cachette, de son antre, ne pouvant oublier l'intensité de son regard ; si jeune me dis-je, et pourtant si redoutable ; jamais, je n'eus vu aussi puissant pouvoir, aussi grande force dans des yeux humains ; je finissais donc ma balade dans l'endroit idyllique qu'était le jardin en ce temps-là, quand tout à coup, sans crier gare, j'entendis derrière moi un cri, un cri perçant, un cri d'effroi, d'affolement, de peur, d'horreur même ; affolé et dans un élan de bravoure, je courus vers l'origine de la voix qui implorait, je courus plus vite que le cheval, plus vite que le vent, plus vite que le temps ; je suis enfin arrivé devant la fontaine que j'avais quittée quelques heures plus tôt ; je vis alors, à côté d'elle, la jeune fille aux yeux turquoise qui se débattait avec un homme d'imposante stature, aux muscles développés et tous bandés, le visage hargneux déchiré par la haine, la face bardée de cicatrices encore par endroits sanguinolentes, les cheveux noirs graisseux et décoiffés ; ne réfléchissant pas une seconde, je me suis élancé entre lui et la jeune fillette ; s'ensuivit un combat acharné où aucun de nous deux ne gagnait de terrain, aucun de nous ne voulait céder ne serait-ce qu'un millimètre, qu'un micromètre même ; je sentais en lui la rage qui le dévorait, j'avais dix-sept ans à l'époque, lui je lui en donnais vingt-cinq ; la colère d'égaler un jeune homme de mon âge, aussi jeune, lui faisait redoubler d'ardeur, tellement que je commençais à faiblir, à lâcher, à perdre du terrain, je m'exténuais lentement quand soudain, regardant derrière moi, voyant alors la fillette prostrée, complètement impuissante et fatiguée, il me vint une sorte de force du désespoir, je me suis juré de ne pas la laisser tomber entre les griffes de cet immoral sans vergogne et je mis toute ma force restante à tenter de repousser l'homme, l'importun, l'agresseur ; après quelques instants d'intense lutte, je parvins à le déséquilibrer quelque peu ; ce ne fut qu'un mouvement infime, qu'un minime tremblotement, mais celui-ci réussit à me faire prendre l'avantage ; je pus alors repousser l'homme, et dans un élan de vivacité j'ai arraché, en un éclair, une flèche à un Cupidon qui se trouvait là et je l'ai plantée dans l'épaule de l'individu ; hurlant de douleur, il tenta de retirer la flèche de son épaule, sans succès, alors je me suis dressé fièrement, prêt à en découdre, à en finir ; en me voyant paré au combat, il s'enfuit dans la nuit, dans les méandres du jardin, courbant l'échine, contemplant son épaule meurtrie sans demander son reste ; je me suis alors retourné vers la fillette, mais quelle fut ma surprise en la voyant aux mains d'une autre jeune fille, plus âgée, de mon âge ; je ne l'avais pas entendue arriver, je ne l'avais pas remarquée, elle s'était faufilée , durant le combat, comme un fantôme, non, comme un ange oui, un ange ; je ne l'ai regardée qu'un seul instant mais je me souviendrai toujours d'elle, avec ses cheveux d'or, ses yeux saphir et ses dents immaculées elle est restée dans mon esprit, vivace souvenir ; résistant avec peine à la volonté profonde qui en moi était de me retourner vers elle, de e plonger dans ses beaux yeux hypnotiques, je me suis avancé vers la fillette aux yeux turquoise ; soudain, on me barra le passage, c'était celle-là même que je n'osais regarder ; mon cœur s'est emballé, je ne savais que faire, que dire même ; elle me toisait avec un regard ardent, mais je sentais aussi dans son regard une bonté extraordinaire, une force d'une puissance infinie qui m'était inconnue jusqu'alors ; elle me demanda qui étais-je, je lui ai retourné la question puis lui ai répondu être un passant n'étant conscient que de son propre devoir ; elle se présenta alors comme la grande sœur de la fillette aux yeux turquoise ; ma surprise fut grande en apprenant cela car elles ne se ressemblaient point au premier abord ; mais en effet, plus je les regardais, et plus elles se ressemblaient ; c'était extraordinaire, c'en était même terrifiant ; je ne voulais les quitter des yeux, quitter ces deux nymphes du regard, pourtant je dus m'y résoudre ; dès que mes yeux ont quitté les leurs, je me suis senti revenir à la réalité de la vie ; j'eus à peine le temps de leur demander leurs noms, et à peine avaient-elles eu le temps de finir de les murmurer que le rêve s'est évanoui ; je me suis retrouvé seul ; seul avec la fontaine, ma seule amie, dans ce jardin bucolique sous la lueur de la Lune ; les deux dryades avaient fui, sans un bruit elles s'en étaient allées ; j'étais encore sonné, endormis, encore à demi plongé dans ce rêve éveillé, enfin, si rêve c'était ; je ne sais encore vraiment ; soudain, dans les méandres de mes pensées, dans le dédale de mon esprit, deux noms surgirent ; les noms de Juliette et d'Albane ; je me suis relevé et, en m'accoudant à la fontaine, je vis un Cupidon, le Cupidon auquel j'avais emprunté sa flèche au cours du combat, tout en moi s'éclaira ; ce n'était point un rêve, les deux nymphes étaient bien réelles, Juliette et Albane étaient là, devant moi, avec moi, dans ce paysage onirique ; fiévreux, je me mis à leur recherche, ne m'arrêtant pas, ne m'arrêtant jamais, encore maintenant, je cherche, je cherche ces fantômes merveilleux, ces spectres ravissants ; je continuerai, jusqu'à l'aube de ma mort, jusqu'au dernier jour de ma vie, jusqu'à la dernière heure, la dernière minute même, jusqu'à la seconde suprême, juste avant de plonger dans le néant infini, je ne m'arrêterai pas de les rechercher ; jamais ; je veux les revoir, leur reparler une fois, un instant encore, rien qu'une dernière fois.
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Une vie sans toi (Correction en cours)
Short StoryRecueil de nouvelles sur le thème de la perte