Une amie

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La dernière fois que je l'ai vue, c'était dans un univers bien lointain maintenant, dans un univers onirique qui jamais ne reviendra. Je l'ai vue, elle, ses cheveux bruns blonds, crépus comme les la mer déchaînée, sa peau blanche d'albâtre, et ses yeux bleuets, à la fois doux et tranchants, innocents et terriblement coupables.

C'était magique, j'avais l'impression de rêver. Nous parlions, je ne sais d'ailleurs pas comment j'ai pu me retrouver avec elle ; nous étions dans une salle, aux murs nus, il n'y avait que quelques tables qui parsemaient l'endroit, il était désert. Et nous, tout guillerets, moi, mes cheveux de travers, un franc sourire aux lèvres et elle, ses yeux plissés par le rire et la bouche entrouverte, nous parlions. Nous parlions de tout et de rien, pris par la fougue sans limites de bons amis. Face à face, nous racontions des histoires, nos histoires, les rires fusaient, cela ne semblait jamais pouvoir s'arrêter, nous aurions pu y rester pour toute l'éternité. Je me souviens... Mais cela a dû s'arrêter, malheureusement, brusquement...

Mais ne parlons pas encore de ça, ce n'est point encore le moment. Je me souviens qu'elle me disait, avoir six frères et sœurs, qu'elle se sentait fière et triste à la fois, qu'elle se plongeait dans les livres pour oublier la mélancolie de la vie.

Elle m'a dit aussi qu'elle écrivait, qu'elle avait été contaminée, elle aussi, par cette fièvre, cette folie qui prend tous les écrivains, tous les passionnés, je l'étais aussi.

Moi, je lui ai dit que j'étais seul, torturé depuis des années par un fléau qui me ronge, dont je ne peux me défaire, que la mort était ma seule sortie... Je lui ai dit aussi, que cela me faisait plaisir de parler avec elle, et que j'étais sincère, cette amitié valait pour moi, plus que tous les joyaux de ce monde et des autres.

Je lui ai aussi parlé de ma vie, de mon existence solitaire, de ma passion pour les livres, de mon désir de faire ma vie avec quelqu'un. Elle m'a dit qu'elle aimait le bleu, qu'elle était plutôt timide ; je lui ai dit que j'aimais le rouge, et que j'étais moi aussi très timide. Nous nous entendions bien, nous rions beaucoup, chose rare et précieuse. J'étais habillé, comme quand je vais au travail, chemise bleue, jean pas trop large, mes lunettes bien montées sur mon nez, et mes mocassins, qui jamais ne me quittent. Elle, elle était habillée... comment dire, à la pointe de la mode, d'une élégance incomparable, elle dégageait une aura, propre aux plus grandes dames... Et elle n'avait que seize ans, elle était déjà prête, à sauter à pieds joints dans la vie, dans la vraie vie. Moi, j'en avais dix-huit, et j'étais encore tétanisé, terrorisé, par l'épopée qui me restait à entreprendre. C'était fabuleux et effrayant à la fois.

Nous avons fini par partir de cette salle oppressante, nous sommes d'abord sortis dans le jardin, parmi les fleurs rouges, jaunes, roses et les grands arbres fruitiers, puis nous nous sommes assis, à l'orée d'une grotte, d'une petite grotte, sous un arbre au feuillage vert olive, nous nous sommes assis sur un banc qui se trouvait là, chose étrange s'il en est, mais bref, une fois assis, nous avons recommencé à parler, à parler de tout, de nous, des autres, de tout ce que nous n'avions pas pu parler avant... C'était magique, dans cet endroit onirique, moi... elle, ensembles, enfin une amitié, enfin après si longtemps, après tant d'années de solitude ! C'était pour moi comme une nouvelle vie, comme une libération, comme l'éclosion soudaine de ma véritable nature, la révélation de mon destin tout entier. Tout m'était clair, je voulais rester près d'elle, et ne plus la quitter, rester dans ce jardin, rester tous les deux, y rester pour toute l'éternité. Si quelqu'un nous avaient vus, si quelqu'un d'autre que nous avait été là, il aurait pu nous prendre pour un couple, Léonard et Louise, quel nom fantastique, mais si peu réel, tellement incroyable, improbable, impossible. Car oui, aucun amour entre nous ne subsistait, rien, seulement de l'amitié, rien de plus, simplement de l'amitié.

Eh oui, nous nous connaissions à peine, c'était la première fois que je la rencontrais, elle m'était totalement inconnue, comme le spectre de l'âme dont on ignore la présence, mais qui sans prévenir se révèle à nous quand arrive l'instant suprême de la mort. Elle m'était apparue comme ça, sans m'envoyer faire-part, incongrûment. Je ne m'y étais pas préparé, j'avais été pris en traître, par cette fille fantasmagorique, cet être charmant, avec qui, tout me semble magique.

Nous nous connaissions à peine, mais j'avais l'impression que l'on se côtoyait depuis toujours, depuis le début de ma vie, depuis le début du temps et des années, depuis que l'histoire du monde a commencé. C'était terrible, c'était magique, je me souviens, je m'en souviens.

Et puis soudain, aussi brusquement qu'elle était arrivée, cette merveilleuse vision se troubla. Je ne voyais plus rien qu'un brouillard indicible, mes yeux ne pouvaient plus capter le monde autour de moi, c'était paniquant, anxiogène, je n'y aurais pas résisté plus longtemps. Mon esprit fût chamboulé, tout se mélangeait, entre le rêve et la réalité. Je ne savais plus où donner de la tête, c'était horrible, angoissant !

Et puis d'un coup, tout s'est calmé, le brouillard qui obstruait ma vision s'est dissipé, tout est devenu plus clair, mon esprit s'est libéré de ces fers, a réussi à se sortir des méandres obscurs et intangibles qui m'assaillaient de toutes parts. Je me suis réveillé, je me suis enfin réveillé, j'étais dans la pénombre, assis, m'agitant dans le vide, dans une chambre, une chambre que je ne connaissais que trop bien, j'étais revenu dans ma chambre, dans mon repaire, dans mon cocon, j'étais au chaud, j'étais tranquille, c'était un rêve, un cauchemar...

Mais c'est enfin fini, c'était fini.

L'amitié est un rêve, que l'on se doit de réaliser un jour ! 

Une vie sans toi (Correction en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant