Arcanes [ EN PAUSE ]

Chapitre 1

La jeune fille regarda à regret sa chambre d'enfant une dernière fois : son lit aux draps jaunes près de la fenêtre, sa bibliothèque en bois clair débordant de ses livres préférés, son tapis en laine blanche, son bureau et sa chaise. Le fait de devoir tout quitter pour s'installer à l'autre bout de la planète lui donnait l'impression d'abandonner une partie d'elle-même.

Quand elle avait reçu, il y a maintenant plusieurs mois, une réponse d'admission dans l'académie de ses rêves à l'autre bout de la planète, elle n'avait pas hésité une seconde. Harori n'était pas du genre à reculer devant le danger, mais maintenant qu'elle y était, elle se mettait à douter. « Et si j'étais en train de faire la plus grosse erreur de ma vie... Ce n'est pas le moment de douter », se reprit-elle intérieurement.

La jeune fille prit une grande inspiration et ferma la porte comme on clôt un chapitre. « Maintenant il faut tourner la page », pensa-t-elle en descendant les marches, son lourd sac de voyage sur l'épaule.

Devant la petite maison de famille l'attendait sa mère, un sac déjeuner sous le bras. Amara, sa mère, était une para-louve, comme elle. Grande et élancée, ses yeux d'un noir aussi profond qu'une nuit sans étoile semblaient pouvoir transpercer les âmes. Amara était une femme forte, avec une poigne de fer derrière laquelle se cachait un cœur en or pur.

La séparation avec sa mère serait, de loin, la plus douloureuse. Amara avait eu Harori très jeune et l'avait élevée seule. Elles avaient, en quelque sorte, grandi ensemble. Le lien entre elles était plus que celui d'une mère à une fille, plus profond encore.

Le trajet vers la gare fut silencieux, l'air lourd d'appréhension et de mélancolie. Une fois arrivées à l'entrée, la jeune fille embrassa sa mère une dernière fois avant de partir. Elles ne se reverraient pas avant les premières vacances scolaires, dans environ trois mois. Sa mère lui tendit le sac déjeuner en silence, lui adressant un sourire plein de chaleur. Bien que sa mère ne lui dise rien, sûrement submergée par les émotions, Harori voyait bien qu'elle était fière d'elle. Dans ses yeux noirs brillaient des milliers d'étoiles.

Un peu allégée du poids qu'elle portait sur ses épaules depuis son départ de la maison, la jeune fille partit à la recherche de son convoi. Celui-ci était installé voie 13 et partait dans une dizaine de minutes. En passant devant la vitre du kiosque à journaux, la jeune para-louve s'arrêta, contemplant son reflet quelques secondes. Ses yeux vert-gris en amande brillaient d'une détermination qui ne semblait pas tout à fait lui appartenir. Ses cheveux gris, mi-longs, tombaient sur ses épaules tels une mer ondulée de vagues grises. Harori esquissa un sourire avant de reprendre son chemin.

Le quai était presque désert, la plupart des passagers étaient déjà montés sur une des centaines de vaches qui composaient le convoi. En effet, le moyen de transport préféré des para-humains pour les longs voyages était la vache. Petit à petit remplacé dans les grandes villes par des trains, ce moyen de transport persistait dans les campagnes. À l'autre bout de la gare, Harori aperçut un garçon qui lui faisait signe. Elle le reconnut immédiatement. C'était Hyo, son ami d'enfance. Leurs mères, des amies de longue date, les avaient quasiment élevés ensemble. Lui aussi partait étudier à Para Ningen School Arcane.

En effet, Para Ningen School n'était pas une simple école, mais une congrégation regroupant cinq académies dispersées sur tout Rodhia. Toutes plus prestigieuses les unes que les autres, elles étaient le rêve de nombreux jeunes adultes. Harori et Hyo se rendaient à l'académie Arcane, une école située sur une île reliée à un morceau du Royaume de Legima Est et bordant le Royaume de Siltéa.

Harori rejoignit Hyo en trottinant. Celui-ci était un para-panthère noir d'à peu près sa taille, la peau hâlée, les cheveux noirs de jais en bataille et les yeux rouges sang qui semblaient briller tels des rubis dans la lumière tamisée de la gare. Un sourire en coin se dessina sur son visage quand il vit Harori s'approcher.

— Alors, frangine ? Prête pour une nouvelle aventure ? lança le para-panthère d'un air taquin, les yeux remplis d'excitation.

La jeune para-louve sourit, mais n'eut pas le temps de répondre. Déjà, le chef de gare, un para-cochon bien en chair, sifflait pour annoncer le départ imminent du convoi. Les deux adolescents sautèrent sur la selle d'une des vaches du convoi, et le troupeau se mit en marche tel un seul être. Ils mirent leurs affaires à l'arrière et s'installèrent plus confortablement pour le long voyage.

Le para-panthère sortit une carte de son sac et expliqua la suite des événements à Harori. Il décrivit la suite du voyage, traçant du doigt l'itinéraire. Le tout allait leur prendre deux jours avec des arrêts pour la nuit et plusieurs correspondances. Ils profiteraient de leur passage dans les grandes villes pour faire leurs fournitures. La deuxième nuit, ils dormiraient dans un petit village près de l'académie et se rendraient à Para Ningen School le lendemain, pour la cérémonie d'entrée.

L'adolescent finit son explication et demanda :

— Tu as tout compris ?

La jeune para-louve hocha la tête, bâillant déjà d'épuisement face au long voyage qui s'annonçait. Elle s'endormit finalement, bercée par le rythme régulier de sa monture.

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