Les jours qui suivirent, Seraphine s'efforça d'éviter Elysian à tout prix, comme si elle avait besoin de temps pour digérer la vérité. Elle portait à nouveau ce masque qu'elle croyait avoir définitivement abandonné. Elle luttait mentalement contre l'envie de se rapprocher de lui, son professeur, mais aussi le seul homme en qui elle avait jamais vraiment eu confiance.
Avec Lyra, elle jouait la comédie, feignant un semblant de normalité, mais dès qu'elle se retrouvait seule, son cœur s'alourdissait. L'absence de Lyra certains jours n'arrangeait rien. Petit à petit, Seraphine sentait cette flamme intérieure, ravivée par la présence d'Elysian, commencer à vaciller.
Parfois, entre deux cours, elle trouvait refuge à la bibliothèque. Là, en lévitation au-dessus du sol, elle se plongeait dans ses pensées, s'enfermant dans une bulle où le monde extérieur ne pouvait l'atteindre. Elle revoyait sans cesse cet instant où elle avait presque déposé un baiser sur les lèvres d'Elysian, avant que la lumière cruelle de la pleine lune ne dévoile la vérité. Il était mort. Un fantôme. Mais comment avait-il pu préserver une apparence si humaine ? Pourquoi devenait-il translucide sous la pleine lune ?
Un frisson parcourut son corps à cette pensée, la faisant chuter brusquement. Sa bulle venait de se briser, tout comme ses illusions.
Pendant les cours, elle n'écoutait plus vraiment Elysian. Elle n'osait même plus le regarder. Sa présence la troublait au point de la rendre malade, littéralement. Il lui arrivait de sortir précipitamment, prétextant un malaise, alors que c'était son cœur qui souffrait. Un cœur qui, malgré tout, continuait de battre pour lui.
Elysian, de son côté, voyait tout. Il n'avait pas besoin d'explications ; il savait. Il sentait la douleur de Seraphine à chaque instant. Il la laissait sortir de la classe sans la moindre objection, mentant même à ses collègues en prétendant qu'elle ne se sentait pas bien. En vérité, il savait que c'était sa propre existence qui la faisait souffrir.
Malgré tout, il la surveillait de loin, avec une tendresse qu'il s'efforçait de dissimuler. Cette nuit-là, lorsqu'il lui avait révélé son secret, il avait senti son souffle s'approcher dangereusement de lui. Juste avant que la lune ne le trahisse, avant que ses rayons ne fassent disparaître son masque. Il se souvenait encore du regard terrifié de Seraphine.
Et pourtant, il aurait voulu. Il aurait voulu tant de choses à ce moment-là. Répondre à son baiser, sentir la chaleur de ses lèvres contre les siennes. Elle était si belle ce soir-là, dans sa longue robe noire, avec sa mise en scène si pleine de poésie. Jamais, pas même de son vivant, il n'avait connu un geste aussi romantique.
Les souvenirs le hantaient, tout comme le visage de Seraphine ce soir-là. Chaque détail, chaque mouvement, chaque souffle... Il se rendait compte que, malgré la barrière entre eux, malgré son état d'âme errante, il était irrémédiablement attiré par elle. Il ne pouvait se l'avouer, mais son cœur le trahissait. Il n'avait jamais ressenti cela pour personne avant elle.
Et c'était insupportable.
Elysian essayait désespérément de l'oublier, mais comment pouvait-il réellement y parvenir ? Seraphine était là, tous les jours, dans sa classe, dans ce même établissement, sa présence était inévitable. Chaque matin, il la croisait, chaque soir, il la voyait partir, et chaque fois qu'il fermait les yeux, c'était son visage qui s'imposait à lui, comme une ombre bien trop belle pour être écartée. Elle était partout, dans chaque recoin de sa vie, et cela le rendait fou d'impuissance.
Parfois, dans des moments de mélancolie profonde, il se surprenait à se demander ce qui se serait passé s'ils s'étaient réellement embrassés cette nuit-là, sous la pleine lune, avec les bougies bleues flottant autour d'eux. Il sentait encore la proximité de ses lèvres, le parfum léger de son souffle. Il revivait ce moment en boucle, chaque fois avec une intensité nouvelle, s'interrogeant sur ce que Seraphine aurait pu ressentir à ce moment-là. Mais cela lui crevait les yeux, il n'avait même pas besoin de se poser la question. Elle l'aimait. C'était aussi évident que douloureux.
Il voyait dans ses gestes, dans ses regards fuyants et ses silences, cette obsession brûlante qu'elle nourrissait à son égard. Autrefois, avant qu'elle ne découvre son terrible secret, elle ne cherchait qu'à se rapprocher de lui. Elle ne désirait rien de plus que d'être à ses côtés, de lui appartenir, de le suivre dans chacun de ses pas, comme un papillon attiré par la lumière. Et cette lumière, c'était lui. Elysian. Elle lui devait tout, il le savait. C'était lui qui avait ramené des couleurs dans sa vie, qui avait fait renaître son sourire, et il en avait conscience.
Mais comment pouvait-il seulement lui offrir quelque chose en retour ? Comment pouvait-il prétendre à un avenir avec elle, alors qu'il était déjà mort ? Une mort absurde, inattendue, qui lui avait volé son humanité. Il n'était plus qu'un fantôme, une âme errante dans un monde auquel il ne pouvait plus appartenir. Et cette réalité lui arrachait le cœur à chaque instant.
Elysian se sentait piégé dans cette ironie cruelle : être le centre du bonheur de Seraphine, celui à qui elle voulait tout donner, alors qu'il ne pouvait rien lui offrir. Pas même le baiser qu'elle avait tant désiré ce soir-là, sous les étoiles.
Rien que d'évoquer cette ironie, Elysian en devenait fou. Pourquoi fallait-il que son secret soit révélé à ce moment précis ? Y avait-il réellement un moment opportun pour confier un tel poids ? Aurait-il dû le dire avant de tisser des liens d'amitié, après leur premier baiser, ou peut-être même après des mois de complicité partagée, d'aventures et de rires ?
Cette question le hantait, le tourbillonnant dans une spirale de pensées sombres et accablantes. Jamais auparavant il n'avait été démasqué. Son existence d'ombre avait réussi à rester cachée aux yeux du monde, mais voilà qu'elle était celle qui avait brisé le vernis de son mystère. Elle, la seule à avoir su voir au-delà des apparences, à déceler la vérité derrière son sourire.
Il n'avait jamais partagé le récit de sa mort, ce chapitre douloureux et secret de son existence. La proximité avec autrui, il l'avait toujours évitée, la craignant comme la peste. Et pourtant, face à Seraphine, il ressentait une irrésistible impulsion de se rapprocher, de lui tendre la main dans sa détresse.
Il voyait bien à quel point elle était éteinte, son éclat terni par le chagrin et l'incertitude. Cela lui déchirait le cœur. Il avait le sentiment qu'en la regardant, il pouvait observer les reflets de ses propres erreurs, de ses regrets, et il s'efforçait de l'aider à éviter qu'elle ne commette la même bévue que lui. Chaque jour passé en sa présence était un rappel poignant de ce qu'il avait perdu, et il ne pouvait s'empêcher de désirer ardemment lui insuffler un peu de lumière, de l'encourager à redécouvrir la vie qu'il avait aimée avant que tout ne bascule.
Mais à quel prix ?
Cette dualité le torturait. Il aspirait à être son soutien, son ami, tout en étant conscient qu'il n'était qu'une ombre, un écho de ce qu'il avait été. C'était un combat contre lui-même, contre son propre désespoir.
Elysian rêvait secrètement de retrouver la vie, de redevenir ce professeur authentique et cet ami vibrant qu'il désirait tant être. Il aspirait à se tenir aux côtés de Seraphine, sans les lourds secrets qui les séparaient, sans cette douleur omniprésente qui assombrissait chaque échange, chaque regard partagé. Dans ses pensées les plus intimes, il imaginait les doux instants où il aurait pu l'embrasser sous la clarté de la lune, sans l'angoisse ou le poids du passé. Un moment parfait, libre des entraves du regret et des incertitudes.
Cependant, la réalité le rattrapait toujours, implacable. Malgré des années de recherches désespérées, Elysian savait pertinemment que cette aspiration était une chimère, une illusion vouée à rester inaccessible. Le poids de sa condition spectrale pesait lourdement sur son cœur, l'entravant dans une existence qui n'était pas la sienne. Il devait se résigner à vivre ainsi, dans l'ombre d'un monde où il n'appartenait plus, condamné à rester éloigné de la vie qu'il aurait tant voulu partager avec Seraphine. Une vie de mort, une éternité d'absence, alors qu'au fond de lui, il brûlait de désirer la chaleur d'un simple instant, la tendresse d'un échange, la promesse d'un futur ensemble.
VOUS LISEZ
Souffles Éthérées
FantasyDans une école de sorcellerie, une jeune sorcière découvre que son professeur est un fantôme. Au fil de l'année, leur connexion grandissante atteint un tournant lorsqu'il révèle son plus sombre secret. Décidée à le ramener à la vie, elle entreprend...