Lucky
Nous arrivons devant l'hôtel. Il est très tard, bien trop tard pour que ma patience puisse encore tenir. Je jurerais que les gamins et Aleck sont arrivés à cette heure également, mais les détails m'échappent. À vrai dire, je m'en fous complètement. Le ciel est lourd, chargé de nuages menaçants, comme si la ville elle-même retenait son souffle. L'air est étouffant, l'atmosphère humide, saturée de l'odeur d'asphalte mouillé. Il a plu plus tôt, et des flaques d'eau stagnent sur le trottoir, renvoyant l'image distordue des lumières des lampadaires. Ce n'est pas une nuit pour rester dehors.
Nous nous dirigeons vers l'entrée de l'hôtel, et déjà, j'aperçois les silhouettes de gamins dispersées dans le hall, certains affalés sur les fauteuils, d'autres adossés aux murs. Une dizaine, peut-être plus, leur présence me saute aux yeux comme une tache sur un tableau impeccable. Leurs affaires traînent autour d'eux, des sacs de fortune, usés par le temps, comme leurs vêtements. Ils sont visiblement fatigués, les visages tirés, les yeux rougis par la fatigue ou peut-être même les larmes. Des enfants perdus. Aleck, avec son éternel sens du devoir et sa morale déconcertante, a réussi à me faire accepter de les héberger. Dans l'un de mes hôtels les plus prestigieux. Rien que ça.
Je pousse un long soupir, sentant l'agacement grandir en moi. Je ne jette même pas un regard à ces gamins avant de me diriger droit vers l'ascenseur. Cet hôtel, bien que luxueux, n'est pour moi qu'un refuge temporaire. Deux chambres m'y sont réservées. Une pour mes moments de débauche, et l'autre pour me ressourcer, me retirer lorsque la villa devient étouffante. C'est essentiel. Changer d'environnement, couper avec cette routine imposée par la solitude et la vigilance constante. La villa, même si je vis seul, n'est jamais vide. Mes hommes sont toujours là, omniprésents. Ils veillent, gardent, sécurisent chaque recoin, chaque entrée. À la longue, leur présence devient pesante. J'ai besoin de respirer, de m'évader, ne serait-ce que pour quelques heures.
Silas, lui, est différent. L'un des rares que je supporte encore. Discret, loyal, un roc sur lequel je peux toujours compter. Les autres ? Des pions nécessaires, certes, mais épuisants. Me passer d'eux serait stupide, suicidaire même. Je ne peux pas me permettre de faire un pas sans protection. Mon monde est rempli de dangers. Les ennemis se cachent partout, prêts à frapper dans l'ombre. Je sais me défendre, c'est vrai, mais dehors, c'est une autre histoire. Je suis puissant, oui, mais la puissance n'offre pas l'invulnérabilité.
Et pour le moment, je ferai tout pour conserver ce pouvoir. J'ai travaillé trop dur, fait trop de sacrifices pour me laisser abattre maintenant.
L'ascenseur met un temps déraisonnablement long à descendre. La patience n'a jamais été mon fort. Monter au 14e étage pour rejoindre la chambre qui m'attend semble un supplice. Je fais signe à Silas de prendre un peu de temps pour lui. L'hôtel est suffisamment sécurisé pour que mes hommes puissent souffler. Ils méritent bien un peu de répit, surtout après avoir enduré mes sautes d'humeur incessantes ces derniers temps.
— Lucky ?
Une voix familière me tire de mes pensées. Je me retourne, contrarié par cette interruption.
— Aleck... soupiré-je, tentant de dissimuler mon agacement. Va coucher tes gosses.
— Oui, j'y vais, mais tu sais quoi ? Toi aussi tu m'as manqué, dit-il avec ce sourire agaçant, comme s'il voulait allumer une flamme d'humour dans une situation qui ne s'y prêtait pas.
— Tu m'énerves, je rétorque, bien qu'un demi-sourire se dessine malgré moi. Je m'avance vers lui et lui donne une accolade rapide.
Aleck peut être insupportable avec son optimisme sans bornes, mais il reste un ami. Il est l'un des rares que je considère vraiment comme tel. Nous avons traversé des moments trop difficiles pour ne pas nous estimer. Je sais qu'il ferait tout pour moi, et, dans une certaine mesure, je ferais de même pour lui. C'est une loyauté que peu peuvent comprendre dans ce monde corrompu par les intérêts et les trahisons.
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LUCKY
ActionIliyan a toujours été le mouton noir dans sa famille. Il subissait de l'abus moral et physique surtout depuis un événement qui le marquera à tout jamais. Mais un jour, ses parents décidèrent de le vendre à un mafieux pour payer les dettes de son frè...