𝔇𝔢𝔲𝔵𝔦𝔢𝔪𝔢 𝔡𝔢𝔲𝔵 🍋

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Deux jours se sont écoulés en l'espace d'un clignement de cils.

Jay avait réservé un vol de dernière minute pour Chicago et nous a hébergé dans sa résidence secondaire à Linkon Park, qu'il loue en temps normal mais qu'il n'a pas proposé de nouveau lorsque ses précédents locataires ont déménagé. C'est cette petite maison rouge, près du café et du fleuriste, qu'il s'est dégoté à un prix d'or et qu'il entièrement retravaillé pour lui redonner ce ancien que son appartement à New York ne possède pas. Il y a ce charme ancien que j'aime particulièrement : cette cuisine en damier rouge ; cette cage d'escalier en bois but qu'il a seulement verni ; et ce petit jardin à la table en métal rouillée.

J'occupe la deuxième chambre à l'étage, celle verte forêt qui fait ressortir mes yeux noirs — d'après Jay — et dont le lit king size me paraît aussi démesuré que mon canapé huit places alors que je suis constamment seul. Jay à la chambre attenant, celle avec la salle de bain reliée directement.

Si nous avons fait chambre séparée le premier soir, me donnant la place de me perdre dans les draps et de paniquer, je me suis endormi sur le canapé le deuxième, après que nous ayons crapahuté dans le parc voisin dont la vue m'apaise autant ma ventoline. La journée ensoleillée nous avait permis de prendre la liberté de se dorer la pilule sur le gazon fraichement tondu, j'avais même enlevé mon écharpe c'est pour dire ! Jay m'avait invité à diner le soir même dans l'un de ses restaurants indiens préféré, celui où le dhal est le plus succulent des États-Unis. La panse remplie, je n'avais pas tenu plus de trente minutes devant le film que nous avions loupé au cinéma. Le dernier de la trilogie d'action qui vous tient en haleine. Jay m'avait réveillé le lendemain avec un petit-déjeuner sur plateau que nous avons savouré dans son petit jardin.

Cette journée, nous l'avons passé dans les musées à flâner devant les nouvelles expositions modernes des artistes peu connus que Jay affectionne particulièrement. Comme ce jeune peintre, Sunghoon si je me rappelle bien, qui a un talent fou pour les portraits d'amour transi et abandonnés. Nous avions passé deux heures à en parler, devant nos plats français qui ont bien fini par se transformer en pierre tant nous n'en tenions pas compte.

Et nous voilà de retour chez lui, avec une musique de fond qui nous tourne un trente-trois tours d'une bande originale d'une vieille série que j'ai peu connu à la télévision. Je suis tranquillement installé dans son canapé beige, un verre de rouge à la vin d'une bouteille exquise, à observer distraitement la ville encore éveillée tandis que l'hôte prend une douche car, je cite : «je ne souhaite pas me laver à l'eau froide parce que tu as épuisé mon ballon d'eau chaude».

Je prendrai presque goût à cette vie loin de New York, dans un quartier plus tranquille et sans mes parents dans les parages.

J'aimerai apprendre à peindre, à jouer de la musique comme ce violoniste dans la galerie souterraine d'un café huppé et à découvrir autre chose que mes pointes abîmées que papa à certainement déjà changé sur ordre de maman. Mon téléphone n'a pas affiché une seule fois leur numéro et il s'est à peine allumé pour m'assurer que Sunoo est toujours en vie. J'en suis autant soulagé qu'angoissé, et plus d'une fois Jay a caché mon cellulaire dans la poche intérieur de son manteau noir pour ne pas que je me fasse un sang d'encre de mon retour prochain à ma vie habituelle.

Que j'aimerais ne pas y retourner.

J'entends à peine Jay sortir de la salle de bain au rez-de-chaussée — je ne suis pas réellement certain de l'entendre à vrai dire. La contemplation des immeubles et des lumières diverses et douces de Chicago caresse mon regard.

«– Tu nous as sorti quelle bouteille ?, me demande le médecin.»

Je tourne mon attention vers le jeune homme à moitié vêtu d'une serviette blanche, qui cache le haut de ses cuisses, et encore dégoulinant. Ses efforts à la salle pour maintenir son physique avantageux ne sont pas vains, tout est parfaitement taillé et sans excès. Détaillant le chocolat de son ventre, je réponds distraitement :

Cœur et RaisonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant