𝔔𝔲𝔞𝔱𝔯𝔦𝔢𝔪𝔢 𝔡𝔢𝔲𝔵

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Et je tourne, je tourne, je tourne, tout tourne.

J'envoie ma jambe chaque fois plus valser pour me propulser, mes mains pour me stabiliser et ma tête pour sourire au public subjugué. Je ne saurais dire depuis quand j'exécute autant de pirouettes sans pouvoir m'arrêter, pourquoi je me sens comme une marionnette contrôlée par d'obscurs désirs qui me dépasse.

Je ne suffoque pas, c'est sans doute ainsi que je suis encore debout. Cette pensée élargit mon sourire, semble me donner des ailes et je pars en grand jeté où mes bras se transforment pour me transporter. Un semblant de vent accueille mon visage comme une mère aimante, le soleil argenté des projecteurs enveloppe les mauvaises pensées et la chaleur saine me chatouille les doigts. Je me réceptionne avec aise, souplesse et grâce puis ouvre les yeux sur ma position finale, un croisé avant, savourant le sentiment de confort que je ressens pour la première fois.

Le public n'est plus, la salle est vide et quelque peu poussiéreuse. Pourtant, j'apprécie le silence comme une vague réconfortante d'applaudissement silencieux, passant mon regard sur les sièges dépeuplés.

Il n'y a qu'une seule personne présente, à vrai dire. Au centre de tous les sièges réunis, au troisième rang, là à me regarder avec passion. C'est un homme dont le visage m'est interdit sous une auréole d'argent si lumineuse que ses ailes paraissent fades dans son dos, que sa tenue sombre m'isole de tout détail familier ou de signe particulier. Il se lève avec tant d'élégance que j'abandonne ma position pour focaliser toute mon attention sur son ascension jusqu'à moi.

Je n'ai ni peur, ni d'appréhension. Uniquement que de l'attente impatiente.

Il arrive à mon niveau, me relève le menton avec délicatesse avant de faire glisser ses doigts le long de ma mâchoire et ce jusqu'à ma main. Je suis le mouvement sans pouvoir m'en détacher, sans pouvoir respirer ni même penser. Il attrape ma main avec autant de douceur que si elle était une plume fragile et la soulève pour me faire lentement tourner sur moi-même, ne détachant pas son regard invisible du mien. Mes pieds ne brûlent pas, mes muscles semblent acclimatés et je ne suis plus malade.

Il m'immobilise face à lui et reprend mon menton dans sa paume comme pour admirer mon visage entre ses doigts. Un sourire nait sur mes lèvres à mesure que mon cœur accélère le rythme.

«– Complimente-moi, je demande d'une fine voix.

Ne meurs pas, grésille l'homme en caressant ma joue.»

Et mon sourire s'illumine comme s'il était le meilleur compliment du monde. De mon monde.

Mon réveil hurle dans ma chambre, me faisant sursauter et sortir du rêve, abandonnant l'ange contre mon gré. Je me redresse comme un diable pour trouver mon alarme et la marteler de coups. Lorsque le silence fait place dans la pièce, je m'affaisse contre la tête de lit en soupirant. J'ai chaud, froid, je grelotte comme la sueur perle mon front.

Ça semblait si réel que je sens encore le toucher de l'ange sur mon menton, ma main gauche et ma joue. Je laisse mes doigts frôler les parties sensibles dans l'espoir de ressentir encore quelques instants la douceur dont il a fait preuve. Je peux encore voir son auréole danser au dessus de sa tête, ses ailes se serrer dans son dos comme pour ne faire place qu'à ma présence sur scène, et cette chaleur apaisante qui se dégageait de lui.

Et cela disparaît lorsque mon téléphone sonne.

J'ouvre péniblement les yeux, laisse tomber ma main sur les draps et tourne mon regard vers le petit boitier bruyant sur ma table de nuit trop sobre. Ce n'était qu'un rêve, rien qu'un rêve dans lequel je ne pourrais retourner. Je déglutis avec amertume puis décline l'appel sans même regarder l'écran ni l'initiateur. Je n'ai pas vécu de matinée si paisible depuis des lustres, peu importe l'urgence, cela pourra attendre. Je me lève pour enfiler un tee-shirt puis traîne des pieds hors de ma chambre sombre, frissonnant au contact de mon sol froid.

Cœur et RaisonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant