0

6 3 0
                                    

Théâtre dantesque, où le flegme règne.

Damei Katab contemplait son engeance depuis l'estrade. Mère et fils, s'affrontaient en ce jour, s'affronteraient demain. Elle l'avait dénoncé aux autorités, jugerait de sa sentence. L'enfant avait commis un délit aux bonnes mœurs, et elle devait lui apprendre sa leçon. Il n'avait pas laissé transparaître une émotion depuis des années. Pourtant, le jour d'avant, elles avaient refait surface. À la barre, le garçon plantait son regard dans celui du procureur. Il n'y avait aucune honte dans ses yeux. Aux tribunes, le public s'était dressé en habits du samedi.

— Souvenez-vous de notre loi !

— De marbre !

— Tantôt, hui et bientôt ?

— De marbre !

— Prosternez-vous, humains, aux dires de sa sainteté.

La déesse avait façonné ses maestriens avec un seul commandement : restez de marbre, avait-elle ordonné, et je vous promets une terre vierge de vos péchés. L'audience se rassit, et les jurés joignirent les mains en prière. La coutume exigeait qu'ils ne s'émussent pas de cette dévotion.

— Mâmaman, je vous en conjure, cessez donc ! Je me devais d'exprimer mon mécontentement, vous auriez pu vous briser la hanche. Pensez à votre âge ; ce n'était que de simples préoccupations.

— Doucement, gamin, ne rajoute pas des chefs d'accusations à ton procès, demanda sa défense.

Les habitants d'Aquadune discutaient en aparté de la scène qui se jouait. Le fils exalta la beauté de la présidente, rendue immortelle par les dieux. Les vitraux du bâtiment la décoraient de bleuets et de coquelicots. Son éloge fut si éloquent que l'odeur des fleurs emplit l'air, que la robe de la régente, sous l'influence de la lumière diffractée, sembla se transformer en un bouquet de pétales.

— Épargne-moi tes simagrées, enfant, je t'ai élevé.

— Si seulement.

— Procureur, si vous voulez bien rappeler son délit à l'accusé, il me parait bien impétueux.

— Effectivement. Abigaël Katab, commença-t-il, vous vous trouvez devant nous en ce jour pour votre ignominie envers Damei Katab, dirigeante de l'oasis et historienne de l'humanité. Vous l'avez qualifié de « loque » quand elle refusa une proposition de rénovation des bancs fontainiers. Pourriez-vous en expliquer la raison ?

— Une énième proposition. Combien encore ? J'ai agi de la sorte en raison de la vétusté de l'endroit. Il y a deux mois, ma mère s'était déjà fracturé le coccyx. Je désirais qu'elle change d'avis pour sa sécurité. Les plans peuvent bien être convaincants, elle les conteste constamment.

— Madame la présidente, cette réponse n'apporte aucune information sur l'affaire, s'exclamait la demande.

— Monsieur Katab, répondit Damei, vous détournez la question. Pourquoi ai-je perçu, dans votre injure, une bribe de colère ?

— J'y venais, mâmaman. Vous conviendrez que mes états d'âme n'étaient pas sans raison. Ils s'établissaient pour la pérennité de votre règne. En effet, dans votre longévité, vous vous êtes empêtré dans vos façons. Accepter le travail des honnêtes gens vous est impossible quand vos habitudes dépassées sont touchées. J'ai agi de manière agressive pour que vous réagissiez.

— J'y consens.

Damei contempla le fond de salle : les sourires des satisfaits, les regards en coin des curieux, les rires des distraits, mais aussi, les tremblements des craintifs et les bâillements des ennuyés. Des architectes s'embarrassaient d'une moue, et elle admet qu'elle avait refusé toutes leurs récentes propositions. Ces procès correctionnels devenaient de plus en plus fréquents, et elle eut envoyé son fils au premier faux pas pour témoigner de son attachement à la nature humaine.

— Je suis prête à faire preuve de clémence à condition que tu te livres à l'éducation. Tes propos ne manquent pas de pertinence, mais tu dois les exprimer avec diligence, par la raison seulement. N'oublie jamais de rester calme, imperturbable, même face à la douleur. Et les électrochocs t'aideront à retenir cette leçon. Tu les subiras jusqu'à ce qu'ils ne te fassent plus peur, ni te mettent en colère, ni ne te rendent triste, ni ne t'affligent.

Le huis clos de l'affaire s'établit juste avant les cris. Dehors, les marchands proposaient des saucisses grillées et du jus de cactus frais, comme si de rien n'était. Comme si une mère ne torturait pas son enfant. Comme si c'était normal de ne pas pouvoir s'exprimer avec ferveur.

— Quelle maestria ! s'exclamerait une déesse, si elle n'avait pas abandonné ses jouets.

Trois heures plus tard, les portes se rouvrirent et la matriarche s'écria :

— Abigaël Katab a été condamné à deux-cent-trois libérations.

MaestriaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant