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— Pardon ? Que voulez-vous dire par là ? s'exclama le serviteur.

— Vous m'avez parfaitement entendu. Je pars, répéta-t-elle.

Le brouillon resta intact pendant un instant, puis l'écrivaillon renoua avec le papier.

— J'accapare la présidence de l'oasis depuis trop longtemps. C'est ma faute si nous stagnons, car je me complais dans notre suffisance.

Et l'indignité me pèse quand je remarque l'expression de vos sentiments.

— J'ai pris l'habitude de m'appuyer contre les rebords de la fontaine pour observer les enfants grandissants. Le saviez-vous ? Ils font sans cesse preuve d'invention pour altérer les jeux des générations précédentes. Je n'innove plus, mais je constate que vos esprits regorgent d'idées. Je n'ai pas l'intention de les mettre en pratique. Je l'avoue.

J'ai apporté déception et frustration dans vos psychés pures par naissance.

— Les années ont passé, et j'ai vu l'insuccès de nombreux précurseurs. Quelle mère voudrait assumer la responsabilité de l'échec de ses enfants ? J'ai conscience que vous n'osez pas prendre les décisions qui vous exaltent par respect. Les jeunes, tout comme leurs parents, ont de l'ambition et envisagent de quitter le désert. Ils reviendront, si la déesse le désire, mais seulement après avoir expérimenté et avoir découvert comment la société se perfectionne. Nous, nous restons ancrés dans nos coutumes. Une fois de plus, la faute m'incombe. 

Les procès auxquels elle avait assisté avaient engendré ces paroles. Et son fils n'avait pas tort. Depuis son jugement, elle avait recensé toutes les occasions manquées. Chaque petit mot, chaque petite contradiction de son peuple, qu'elle avait balayés de la main pendant des décennies. Toutes les contrariétés et la langueur dont elle tenait la responsabilité. Elle les avait rangés soigneusement dans un coin de sa tête. Malgré les complaintes des modestes gens, l'adjoint se faisait le porte-parole des autres habitants, qui idéalisaient leur dirigeante :

— Pourquoi devons-nous toujours nous surpasser ? Notre état nous convient. Posséder un toit et de la nourriture nous suffit. Restez, s'il vous plait.

— Est-ce tout ? Nous faisons partie d'un grand tout, l'humanité. En tant qu'espèce, nous avons évolué pour survivre. Or, je crois que nous régressons dorénavant.

— Vous vous en excluez, de ce nous ? C'est pour ça que vous partez ? Parce qu'on ne répond plus à vos attentes ?

— Non, pas du tout. Je pense que le moment est venu, car ma présence vous cause plus de tort que de bien. De plus, je dois m'assurer que la situation ne s'étend pas au-delà d'Aquadune.

— Quelle situation ?

— Tu sais bien, toutes les émotions et leurs nuances. Elles reviennent nous hanter depuis leur lointain abandon.

Damei semblait répugnée à l'idée d'aborder ces concepts, mais pressée à l'idée de les traiter. Le tournoi qui se préparait à Colea rassemblerait non seulement les combattants, mais aussi les sentiments des plus vils. Sa quête avait été décidée.

La matriarche reprit l'élaboration de son discours. Elle y vantait les exploits de son fils, Abigaël, qui allait devoir se conformer à ses attentes. La raison suivrait. Elle donna l'exemple de ses premiers pas pour courir vers les tantines du village ; de ses interventions face aux révoltes du printemps ; de sa participation à la construction du nouveau four à pain. Elle évitait tout rapprochement personnel, se distançait de l'enfant qu'elle avait mis au monde et encensait ses capacités à reprendre le flambeau.

— Il assumera la gestion d'Aquadune durant les festivités, c'est ma dernière décision. L'entièreté de ma confiance lui est allouée et j'espère qu'il en va de même pour vous. Cependant, je ne fais pas fi de votre droit de vote.

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