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 Il était une fois deux hommes, le bouffon d'une reine de contrée d'outre-mer, un pitre qui s'imaginait poète ; et son ami bourru. Ils voguaient sur les mers, sans destination aucune, quand une rumeur leur parvint. Le désert d'Aquadune renfermerait des merveilles, dont la plus petite d'entre elles ferait des heureux et des envieux. Le bourru avait été intéressé par la renommée, car il avait protégé son frêle compagnon contre vent et marée, et il se devait d'être acclamé. D'autres curieux avaient tendu l'oreille, et ils affluèrent par centaines sur l'île-continent de Ganymède : gens bons et lots d'énergumènes.

Damei Katab avait consigné les spécificités de la ressource fabuleuse dans les glossaires, la présentait en une spore de clathre. Une poussière, qui nécessitait d'être manufacturée, et agissait alors comme un catalyseur pour des capacités divines, jadis offert aux humains.

— Qu'importe les dons de la déesse, qui encore en possède ?

Artisans et chercheurs n'eurent de cesse d'en découvrir des utilisations. Une poudre corrosive à l'état pur. D'autres emplois tabous dont on taisait l'intérêt, mais tous devinaient le poison. Durant trois jours, chaque année, juste avant le tournoi martial de Colea, la récolte avait lieu. Nulle coïncidence puisque, de tout temps, les guerriers quêtaient le pouvoir, et les globules de spores se rendaient coupables de les appâter. Bien qu'ils fussent parmi les meilleurs combattants du monde, ces particules avaient la capacité de les faire devenir les plus puissants. Ainsi, une femme apte à léviter pouvait franchir le mur du son et traverser un océan en un temps record. Et pour les fortuits qui réussissaient à capturer le corpuscule, les attendait une richesse sans pareil. Toutefois, en cette saison, la sporulation traînait à s'annoncer. Quoiqu'impatients, les mercenaires tentèrent de faire fi du tumulte de l'oasis pour se prélasser au matin. Tous, sauf un.

Nohan, poète de passion, fut réveillé par les citoyens qui maugréaient le départ de leur régente. À l'orée du jour, il passa la tête par la fenêtre de sa chambre d'auberge et nimba ses cheveux des premiers rayons de soleil. À la différence des aventuriers hagards et à fleur de peau, ce guerrier-là exhalait sa tranquillité de toute façons et brillait sous l'assaut de l'aube.

Les avant-bras sur le rebord du dormant, l'homme repensait au discours qu'il avait écouté la veille. Il avait vu clair dans le jeu de la régente : elle avait témoigné son envie d'aventure, un désir qu'il partageait. Il tenta d'imaginer, les yeux fixés sur un soleil qui s'habillait de ses nuages, où la femme s'en était arrêtée dans son périple.

Après avoir marché sans relâche, a-t-elle parcouru la moitié du désert ?

Aidé par les rêves de la nuitée, où Damei Katab dansa, il chantait, sans air, pour l'oasis, un poème mal agencé.

— Une fleur de pavot ou un visage, tes lèvres sont une rangée de pétales. Et en gage de cheveux, une forêt. Quand s'abat la rosée matinale, elle te trempe sans demander l'aval, que tu es candide, douce fée ! Le faucon qui descend en piqué, depuis le ciel pris en piédestal, viendra dessiner sourcils et nez. Les cils par les plumes de l'oiseau, embrasse le mystérieux cadeau, des pistils d'or noir sous le voile. Ces faibles lueurs colorées, ces yeux en boule de cristal. Et l'odeur du musc est perdue, sur ces clavicules mises à nu. Les papillons qui virevoltent me chuchotent que t'es pas banal. Tu éclos, chaque année, triomphale...

— Ferme-la, Nohan ! s'exclama son cher ami bourru en se retournant dans sa couette. Laisse-moi dormir, et rabats les volets !

Le troubadour se fit rouspéter, mais ravi par sa déclamation matinale, néanmoins écourtée, il se mit en quête d'une collation sans perdre une once de sa joie. Il sautilla, s'envola en un bond pour parcourir les trois marches de l'escalier qui séparaient sa chambre du rez-de-chaussée. Il atterrit avec panache et se précipita sur l'avenue, où il découvrit une série de tables pour les voyageurs du relais. Une pâtissière vendait ses gâteaux du jour au premier bâtiment à droite. Il prit place dans la file d'attente, qui débordait sur le trottoir.

Sous l'ombre de la toiture, une demi-douzaine d'enfants s'étaient rassemblés. Ils se chamaillaient en imitant des lutins. L'un d'eux contait une histoire fantastique : le matin même, il avait entendu un cri. Les domestiques de la villa de la famille Katab s'étaient évadés en nuée depuis les larges entrées. Ils avaient tendu des affiches à tous, aux farfadets d'abord, pour rapporter un braquage de plusieurs dizaines de carrés de tissu. Le plus farceur d'entre eux tentait désormais de convaincre tout son public de sa version des faits.

— Mais moi, j'ai vu c'qui s'est passé ! Vous voulez le savoir, hein, pas vrai ? Alors, laissez-moi parler, bande de choucrasses ! La soie s'est enfuie des placards, elle a filé au vent, elle a coulé sur l'horizon des dunes, elle s'est tapissée sous les tapis... Et enfin la fenêtre ! Libérée ! Délivrée ! Voilà ! Et chaque bout, les milles et les cents, se sont posés. Parcimonieusement, comme dirait l'autre. Ils sont retombés sur la fée ; la seule, l'unique, celle qui a traversé Aquadune cette nuit. Et elle les a entrainés au loin. Quand elle est passée, j'l'ai vu, la trainée ! Ces touts pleins de tâches, ces couleurs. Et ça, bande de choucrasses, y'a qu'une personne qui peut se vanter d'les porter aussi bien.

— Chef ! Chef ! J'ai une question !

— Qu'est-ce qui a, choucrasse ?

— Moi, j'l'ai vu s'les traîner, tous les tissus de soie, même qu'on aurait dit une dune qui bouge toute seule. Tu penses que Damei, elle va participer au tournoi de Colea ? J'imagine déjà les titres : la masse mouvante contre les plus valeureux guerriers !

— Mais bien sûr qu'elle va jouter, la gaillarde ! Plutôt deux fois qu'une, ouais ! Tu le sais probablement pas, choucrasse, mais moi, j'le sais, alors laissez-moi parler la marmaille ! Le padré, il m'a dit que Damei, c'était une grande combattante, et qu'elle nous dirigeait pour nous protéger !

— Mais elle est partie, chef...

— Elle reviendra ! C'est pas une choucrasse, elle !

Nohan souriait à l'écoute d'une imagination si fertile. Enfin, il arriva devant la cabane magique, construite d'un assemblage de bonbons, face à la vendeuse de douceurs, qui maîtrise le four comme nul autre. Il acheta de quoi se repaître, s'installa à une table, pour deux, dressée là. Il dévora son beignet comme une bête. Tandis qu'il s'essuyait la gueule, son ami tira la chaise adjacente pour s'asseoir.

Les cloches escomptaient ces retrouvailles, car elles sonnèrent subitement dans l'oasis. La saison des spores débutait. Dans ce désert, le danger guettait de partout. Les chasseurs ne freineraient pas leur appât du gain pour autant. Ils se faisaient appeler Globuleurs d'Éther, et ils captureraient ces particules dans les globules translucides préparés pour l'occasion.

— Anoïm, rentrons nous mettre à l'abri, suggéra le blond à son collègue.

Celui-ci grogna avant de se redresser, les yeux à moitié fermés. Nohan le suivit et ils montèrent tous deux dans leur chambre.

— Sors les tenues de l'armoire.

Anoïm, avachi sur le matelas, donnait ses ordres tout en s'injectant une substance dans les veines. Pendant que le plus jeune se dévêtait, l'ami gémissait, penchait la tête en arrière, les yeux exorbités.

Par la fenêtre ouverte s'infiltra une poussière qui se déposa contre la dépouille rabougrie de l'aigri. Soudain, la peau se fendilla et révéla sa chair. Il s'échappa de l'autre côté du lit, saisit la combinaison préparée par Nohan et s'habilla.

Dehors, un crieur recouvert d'épais bandages sombres répétait :

« Corpuscule reproducteur aux propriétés destructrices et salvatrices, véritable messie pour ses partisans, les spores comme l'or d'antan. »

MaestriaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant