LE RUBAN ROSE | Une dernière expédition

CHAPITRE 3 | Peur de perdre

Marion
24 septembre 2023, Gap, Alpes.
Pour cette première journée de cours, on peut dire que c'est une réussite, enfin mise à part les blagues catastrophiques de mon meilleur ami qui ont fait drôle d'impression aux jeunes. Après la classe, on a voté pour aller manger chez lui, ce qui tombe à pic. Je n'avais pas très envie d'être toute seule ce soir. Après l'interpellation de la dame que j'ai percuté durant le déjeuner, je n'ai plus trop la tête à faire quoi que ce soit, et encore moins à être cher. C'était courant avant qu'on m'interpelle dans la rue,  avec les vidéos que je postais sur mes réseaux sociaux. Autrefois cela ne me dérange pas, loin de là, mais depuis quelque temps on ne me reconnaît plus pour mon contenu mais pour « la jeune femme miraculeusement en vie, survivante  d'une avanlanche sur le mont-blanc ».
-T'es avec nous ? Je cligne plusieurs fois des yeux pour revenir à la réalité.
-Oui, tu disais ? J'attrape une part de pizza qui était posée sur la table du salon.
-Plutôt Ça ou Scream ce soir ?
Sur le coup, je ne comprenais pas vraiment ce qu'il me disait. Je fronçais les sourcils, ce qui lui provoqua un coup de tête vers la télévision que je suivis du regard.
-Mets ce que tu veux, je m'en fiche.
Matthew se mit sur la page d'accueil du site de streaming, puis se retourna vers moi.
-Tu te fais du mal, tu le sais ?
-Tu veux dire quoi par là ? Je posa mes yeux sur ce beau brun aux yeux marron pratiquement noirs.
-Je te vois depuis tout à l'heure regarder ton téléphone. Et te tourner en boucle ce que cette femme t'a dit ce midi, ce n'est pas bon non plus.
Je lâcha mon téléphone des mains, posa ma pizza sur sa boîte d'origine et me reposa dans le canapé pour regarder son film stupide. Les larmes montèrent  mais je restais forte pour ne pas qu'elles coulent sur ma joue.
-Je trouve ça horrible ce que font mes parents, j'ai aussi perdu  ma petite sœur... À ma phrase, une larme coula sur ma joue.
-Et ne pleure pas, Matthew posa la  télécommande entre nous et me pris dans ses bras, je suis là, moi, rien n'est de ta faute.
-Elle me manque tellement, c'est moi qui... mon meilleur ami me coupa  dans ma phrase en haussant  la voix
-Je t'interdis de finir cette phrase, Marion Alexandra Gora !
Et surtout, je t'interdis d'y penser, rien n'est de ta faute. Tu ne m'entends rien !
L'une de ses mains se glissa sous mon pull, l'autre dans mes cheveux. Malgré  le fait qu'on  me répéta constamment que ce n'est pas ma faute, je n'arrivait pas à supprimer cette idée de ma tête. 
-Aller, viens, on regarde un film, toujours dans ses bras, il se jetta en arrière pour qu'on s'allonge.
On a toujours tout fait ensemble, arrivés au lycée on ne connaissait personne. Tous nos amis étaient partis dans d'autres établissements, on s'était déjà croisés quelques fois dans notre vieille  école mais rien de plus. On s'est très vite entendus quand on a partagé nos goûts qui paraissaient très similaires. Les parents de Matthew, qui eux aussi pratiquaient l'alpinisme, m'ont pris sous leur aile pour me former à la vie de montagne. Mes parents étaient toujours contre, mais me laissaient faire, surtout quand ma petite sœur s'y mettait aussi. À la sortie du lycée, ils m'ont tout de suite formée pour être guide de haute montagne, ce que mon meilleur ami et moi faisions. Enfin jusqu'à il y a trois ans. Maintenant je fais cours à des gosses qui eux veulent aussi risquer leur vie pour faire ce qu'ils aiment. Chaque sport et métier contient des risques, d'autres roulent à trois cents à l'heure dans des voitures dignes de fuser et d'autres courent vers le danger pour sauver des vies. Après de longs moments à cogiter de cette journée pleine en émotion, je finis par m'endormir dans les bras de mon meilleur ami.

Nali
26 septembre 2023, Gap, Alpes.
-Tu veux une couverture ou quelque chose à boire ?
Je n'ai jamais vu mon frère autant aux petits soins avec moi, plutôt ironique. Après le décès de nos parents, c'est moi qui me comporte comme ça. Je le tire à contre de moi pour qu'il se repose cinq minutes et surtout respirer. Depuis vendredi, il est toujours sur les nerfs, toujours à courir partout. Monsieur a même décidé que j'allais venir vivre chez lui jusqu'à ce que j'aille mieux. Je sais que je ne dois pas perdre espoir et me battre, mais ces derniers jours je me suis beaucoup renseignée. Les personnes diagnostiquées trop tard d'un cancer comme le mien ont peu de chance de s'en sortir, ou alors il faut un miracle. Un miracle c'est ce que mon petit frère rêve...
-Tu ne veux pas te calmer cinq minutes ? Je ne sais pas, joue aux jeux vidéo ou va sur TikTok, mais calme-toi !
-Nali...
-Non, il n'y a pas de Nali ! Je ne vais pas fondre et en plus de ça je suis à vingt centimètres de toi, alors arrête, tu me stresses plutôt qu'autre chose.
Je me lève du canapé et pars chercher sa manette de sa console et lui donne, sa fossette se dessine sur sa joue joufflue ce qui me fit sourire aussi. Je me rassoie à côté de lui en sortant mon téléphone. Je vais sur Instagram pour voir les dernières histoires des célébrités que je suis. Après dix bonnes minutes, je défile les photos et entends le bruit de son jeu de guerre. Je tombe sur une photo de l'homme que j'ai vu vendredi au parc. Sa publication date d'il y a trois jours, il était avec Marion Gora, tous deux avec un casque et une paire de lunettes de soleil. Sa description était « quatre ans jour pour jour, ça me manque de monter avec toi» sans aucune  mention  de la jeune femme. Tous les commentaires étaient pour soutenir son amie qui avait disparu des réseaux sociaux en laissant juste derrière elle un compte fantôme qui n'avait plus aucune mise à jour depuis ce tragique jour.
-Et mais c'est Marion. Mon petit frère se pencha vers moi, intrigué par la photo. Matthew n'a pas du tout changé.
-Tu la connais ?
-Mise à part qu'elle est passée aux infos et qu'elle était dans ma classe, non.
- Mais tu as vingt-cinq ans ?
- Oui et toi trente-cinq !
- Non mais comment tu as pu aller dans sa classe si tu es plus vieux qu'elle ?
-J'ai redoublé ma vieille... J'ai une sœur en carton.
- Ah ouais ?
-Tu faisais quoi quand j'étais au primaire ?
- Mes études de droit ?
-mm... ça va tu es pardonnée, on se met à rire tous les deux.
-Pourquoi tu ne m'as jamais dit que tu étais dans sa classe ?
-Je ne sais pas, c'était juste une camarde, elle séchait souvent les cours avec Matthew pour escalader ses montagnes alors... en plus c'est à elle que je t'avais dit de demander pour monter le mont Blanc.
-Oui, bah maintenant c'est un peu raté, avec mon cancer et elle ce qui s'est passé je pense que...
-Tu ne vas renoncer à ton rêve juste à cause de ta
maladie ! Tu vas te battre pour ton rêve, pour moi ! Je t'interdis de renoncer !
-Je n'ai...
-Tu te tais ! Tu n'as pas le droit de dire un mot !
- Ok, calme-toi ! Et passe-moi mon ordinateur, je dois regarder les dossiers de mes clients.
-TU NE VAS PAS QUAND MÊME TRAVAILLER !
- MAIS QU'EST-CE QUE TU VEUX QUE JE FASSE À LA FIN ? JE N'AI PAS LE DROIT DE ME MORFONDRE, PAS LE DROIT DE PARLER DE...
-Nali !
-Tu n'es pas mon père !
- NON MAIS JE N'AI PAS ENVIE DE TE PERDRE COMME LUI !
Mon cœur loupe un battement, je le regarde sans voix. Mon petit frère a les larmes aux yeux. Il se lève en posant sa manette sur la table.
-Kaylon... Je me lève et pars dans sa direction, plus je m'avance, plus il recule.
-Je ne veux pas te perdre comme eux, tu es tout ce que j'ai...
-Viens là, je le tire dans les bars.
Dix années se sont écoulées depuis l'accident de mes parents, mais jamais au grand jamais je ne l'ai vus pleurer depuis ce temps. Je le serre le plus fort possible dans mes bras, comment je peux faire pour arrêter cette chose qui nous détruit mentalement tous les deux.
-Je peux te faire une promesse ? Dit Kaylon avec une larme qui coule sur sa joue. Sans pouvoir prononcer un mot, je lui fais signe de tête de haut en bas,
-Que ta chimio ou ton opération ne réussit pas. Je ferai de ton rêve une réalité, même si je dois te porter sur mon dos. Ok ?
-Ok...
C'est à mon tour de lâcher mes émotions, je me suis promise que devant lui je resterais forte, mais là je ne peux plus, je perds le contrôle et pleure sans pouvoir m'arrêter dans les bras de l'homme que j'aime le plus au monde, mon petit frère.