CHAPITRE 4 | Dix mètres

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Marion
25 septembre 2023, Gap, Alpes.
Mon cœur bat à la chamade, ça doit faire bien dix kilomètres qu'on court dans toute la ville. Matthew, qui est bien à quelques centaines de mètres devant moi, s'arrête sur un banc. Je ralentis la cadence en me tenant l'une de mes côtes due à mon pointé de côté. Arrivé à son niveau, je m'affale sur le banc encore frais de la rosée du matin, j'appuie ma tête contre son bras pour pouvoir un maximum m'allonger.
-Tu es désespérante, tu le sais ?
-Pourquoi tu dis ça ?
-Tu es nul en cardio alors qu'on court tous les jours depuis nos seize ans.
- Et c'est le seul sport que je pratique depuis trois ans, alors lâche un peu ma veste.
Je vois Matthew toucher sa hanche du côté droit avec sa main gauche.
-Comment tu as fait ?
- Fait quoi ?
-D'avoir directement refait de l'escalade après ça ?
-C'est comme du vélo, tu tombes, tu remontes tout de suite dessus pour ne pas déclencher une bombe noire due à ta chute.
- Mais tu avais dix ans.
Plus jeune, mon meilleur ami était parti faire de l'escalade en plein air près de Gap avec ses parents, étant assez expérimenté, il pouvait se laisser aller. A mis chemin du parcours, son pied glissa de sa prise, sa mère qui le sécurisait l'a retenu à temps, mais malgré ça il a heurté la paroi rocheuse, ce qui lui a fait des impressionnantes cicatrices. L'une sur la hanche et l'autre au niveau de la clavicule.
-Ça m'a appris de ne plus me précipiter et de faire attention que ce n'était pas un jeu.
Nos regards se croisent malgré ses yeux foncés, pratiquement unis avec sa pupille. Il peut m'envoûter. Pour couper notre contact visuel, il me donne une petite tape sur la tête pour pouvoir prendre la parole.
-On va faire de l'escalade aujourd'hui ?
Je me redressent en le dévisageant, je prends sa bouteille d'eau entre ses mains pour finir par me mettre sur mes deux jambes devant lui. Sans lui répondre après avoir bu une gorgée, je jette la bouteille à côté de lui. Pour pouvoir changer de sujet, je regarde tout autour de moi.
-Tu vas me répondre un jour ?
Je laisse échapper un long et grand soupir, même si je ne veux pas, il va me bassiner avec ça jusqu'à ce que j'accepte. Pas très loin de Gap, on peut trouver des petits spots pour faire de l'escalade en toute tranquillité, pour ça j'accepte, mais dès qu' il commence à entamer la conversion avec « pieux » ou « crampons », je change très vite de sujet.
-Aller s'il te plaît et j'ai même envie de te montrer un nouveau spot plutôt pas mal pour que tu reprennes confiance en toi.
-Je préfère de l'escalade, ça fait longtemps qu'on en a pas fait. Je baisse la tête pour éviter son regard.
-Ok mais alors après je te montre mon endroit et on fait le parcours le plus dure.
-Pas de problème.
-Sérieux ! Me dit-il comme un enfant au moment d'ouvrir les cadeaux de Noël.
En ai-je vraiment envie ? Non mais je suis d'accord avec lui, je dois reprendre confiance en moi. Mais l'alpinisme c'est fini.
-Oui mais pas de coup à l'envers tu ne m'emmènes pas en Suisse !
-Aller viens, il se lève d'un bond du banc pour atterrir sur ses deux pieds. On rentre, on prend une douche et on part. Je le vois commencer à partir à toute vitesse en direction de la maison qui est bien à trois kilomètres d'ici.
- Et le sac, c'est moi qui le prends ?
Ce malin venait d'oublier la moitié de ses affaires sur le banc. J'aurais dû rien dire, on aurait peut-être été à la rue, mais au moins pas d'escalade. Et puis d'abord, pourquoi il prend un sac à dos, juste pour mettre ses clés ? Encore s' il mettait sa bouteille d'eau dedans, mais non, il la porte dans sa main. Matthew revient en courant, il m'attrape la main et me tire de toutes ses forces pour que je le suive le plus rapidement possible. Une fois à l'appartement, mon meilleur ami cours sous la douche, je m'installe tranquillement dans le canapé avec mon téléphone. Je vais sur les réseaux sociaux pour la première fois de la semaine. Ça fait un peu plus d'un an que j'ai coupé toutes les notifications pour ne plus avoir affaire à ma communauté. Matthew a donné des nouvelles de moi via sa story ou encore par ses photos. Son dernier post me brise le cœur, c'était la dernière fois qu'on avait fait de l'alpinisme. Même s'il essaie de me refaire monter par tous les moyens possibles, je refuse. Entre les films, les documentaires ou les vidéos de nos confrères, ça ne marche pas plus que ça. Je lis les commentaires qui me redonnent un peu le sourire, tous les jeunes qui laissent ces petits messages pour moi sous leurs photos me touchent énormément. Ceux qui disent que je leur manque, d'autres qui comptent les jours qui se sont passés depuis mon dernier poste ou bien ceux qui espèrent que je revienne.
-Tu peux y aller, mademoiselle.
Mon meilleur ami torse nu venait d'entrer dans le salon en se frottant les cheveux avec sa serviette. Ses cheveux mouillés sont pratiquement lisses, presque ondulés, avec sa coupe semi-casque qu'il fait d'habitude, on ne peut pas trop apercevoir sa longueur. Mes yeux portés sur lui, en le regardant de la tête au pied, me laissèrent oublier ce qu'on devait faire cet après-midi.
-Tu es avec moi ou tu as fait une erreur 404 ?
- Quoi ?
-Arrête de me mater et va prendre ta douche.
-Je ne te mate pas.
- Ah oui, vraiment ?
Je me lève et prends mes affaires dans ma valise, j'ai beau habiter à trois rues de chez lui, je passe la moitié de mon temps ici et à l'inverse, quand je suis chez moi, il vient squatter mon canapé.
-Oui, je prends mon vieux pull qui était bien trois fois trop grand pour moi et me dirige vers sa salle de bain.
-C'est pour ça que tu as encore de la bave qui coule du coin de ta bouche ? Me dit-il de son rire de souris.
Je lui jette mon pull en plein visage, ce qui le (fait) rire davantage. Il s'avance vers moi, ses cheveux encore humides.
Il me redonne mon pull et me dit, yeux dans les yeux, d'un ton si doux.
-Je vais charger la voiture, dépêche-toi, on a de la route.
D'un courant d'air, il passe à côté de moi en laissant comme seul contact physique entre nous sa main sur la mienne. Je me dirige vers sa foutue salle de bain étroite pour me rafraîchir les idées. Il faut vraiment que j'achète des produits d'hygiène pour les mettre ici. Mis à part ma brosse à dent, je n'ai rien ici, en principe je dois en ramener dans ma valise mais avec ma tête en l'air j'oublie la moitié de mes affaires, alors je pique celles de Matthew.
Après trente minutes, je rejoins mon ami dans le salon, il était en train d'enfiler ses chaussures de ville.
-On va où ?
-Tu verras. Il se leva et se dirigea vers la porte d'entrée. On
va ?
- On a combien de temps de route ?
-Tu arrêtes de poser des questions ? Tu verras, dans tous les cas, tu t'endormiras dans la voiture.
-Ça veut dire qu'on a plus d'une heure de route ! Dis-je en lui faisant des gros yeux.
-Tu dors au bout de cinq minutes de route, Marion. Me dit-il en ouvrant la porte.
-Je ne vois pas de quoi tu parles. Je prends ma gourde posée sur la table de la salle à manger et marche en sa direction en faisant semblant de lui faire la tête.
-Tu n'es pas croyable.
On part en direction de la voiture qui est garée au bout de la rue. Une fois assis du côté passager, je retire directement mes chaussures et replie mes genoux contre mon torse en posant mes pieds sur le fauteuil. Matthew ferme la porte arrière du conducteur, puis monte à son tour, il met sa ceinture pour finir, se retourne vers moi, les sourcils foncés.
-Pourquoi à chaque fois il faut que tu retires tes chaussures ?
Je ne sais pas, c'est une habitude. Et c'est plus confortable pour mettre ses pieds sur le fauteuil.
-Heureusement que tu retires tes chaussures si tu mets tes pieds dessus. Il lève une de mes mains qui était posée sur mes chevilles. Tiens, tu as mis du blanc ? Toi qui es habituellement habillé en noir de la tête aux pieds.
C'est vrai que je n'ai pas vraiment d'habits de couleur, et ça depuis petite. Mon matériel de travail était principalement constitué de noir, sauf tout ce qui était bordier et ce qui était important et obligatoire ; il était plus dans des tons jaune fluo.
- On passe au McDo, comme ça on mange pendant la route ?
- Vas-y
- C'est parti ! D'un signe de main, on part en direction du centre-ville.
Musique à fond, ça fait une heure qu'on prend la route. On passe à côté de plusieurs panneaux indiquant « Chamonix », j'aimais tellement cette ville avant... De temps en temps j'aimerais dire à mon meilleur ami de revivre avec moi pour faire de l'escalade à la mer de glace ou encore marcher dans les rues de la ville. Mais je ne veux plus remettre les pieds dans cette ville qui me remette trop de mauvais souvenirs.
-On s'arrête deux minutes, je dois remettre de l'essence.

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LE RUBAN ROSE | Une dernière expédition Où les histoires vivent. Découvrez maintenant