Chapitre 9 - Zélie

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—Tu veux ? me demande Moh, sa cigarette à l'herbe déjà allumée proposée en guise d'offrande.

Perdue dans mes pensées, je mets quelques secondes avant de réussir à détacher mon regard du Sacré Cœur que le soleil couchant vient teinter de rose. Complètement à côté de mes pompes, je fixe sans réellement le voir le joint aux contours flous dont la fumée odorante vient narguer mes narines.

—Mmmh, non. Mais merci, décliné-je, l'air absent auquel il réagit par un coup d'épaule.

—Ça va, toi ? s'enquiert-il, une pointe d'inquiétude dans la voix. Tu n'as presque pas dit un mot depuis que je t'ai rejoint.

Mohamed n'a pas tort. Voilà quinze minutes qu'il a débarqué sur la toiture et tente de me faire la conversation sans réellement y parvenir. Le pauvre y met pourtant du sien seulement, ce soir je ne suis pas d'humeur et le laisse tenir la discussion seul.

Parce que je le sens s'impatienter, je m'oblige à lui fournir une réponse des plus vagues même si je sais par avance que cela ne suffira pas à satisfaire sa curiosité :

—Ça va, oui. J'étais juste en pleine réflexion.

Aussi prévisible que je ne le pensais, le rappeur rebondit aussitôt :

—Au sujet d'un mec ? m'interroge-t-il, avide d'informations croustillantes.

—C'est possible oui...

Ses commissures s'étirent en un sourire si communicatif que je ne peux retenir les miennes de se déformer, elles aussi, tandis qu'il persévère :

—Pas à moi, mademoiselle Couturier ! Je veux tout savoir : ce qui te contrarie, si c'est un bon coup et son identité ! il exige, telle la véritable commère qu'il est.

—Non, mais ça va aller ?! Tu ne veux pas non plus son groupe sanguin, tant que tu y es ? je m'offusque faussement en levant les yeux au ciel, amusée.

—Oarf, non. Ce n'est pas très utile comme info... Sauf s'il est donneur !

J'éclate de rire face à son manque de sérieux et cède, sans m'en rendre réellement compte, à l'exigence de presque toutes ses questions quand il me relance :

—Plus sérieusement, meuf, dis-moi tout ! Qu'est-ce qui ne va pas ? l'air sincèrement soucieux de ma réponse.

Sa sollicitude me touche. Voilà un mois que nous nous donnons régulièrement rendez-vous sur les toits de la capitale pour discuter, apprenant à nous connaître et nous apprécier l'un et l'autre bien mieux que nous avions pu le faire dans le passé. Le plus souvent, nous échangeons sur ce que nous aimons dans la vie mais également sur ce qui nous révolte, déchargeant notre trop plein d'émotions sans jugement, aucun.

Plus rarement, nous abordons des questions moins philosophiques, mais je dois reconnaître que je préfère nettement nos discussions étonnement plus profondes que je ne l'aurais pensé. Aussi surprenant que cela puisse paraître, nous avons énormément de points communs malgré des modes et visions de ce que doit être la vie sensiblement différents. C'est un moment de pause dans mon quotidien que j'apprécie bien plus que je ne l'aurais cru et il me semble qu'il ressent la même chose.

Sinon pourquoi insisterait-il autant pour maintenir ce lien étrange qui s'est tissu entre nous et que j'ai parfois tendance à négliger par flemme de devoir faire la discussion ?

—Pff, soupiré-je, aussi blasée que vaincue. Rien, si ce n'est que je crois avoir commis une erreur en me lançant dans un truc que je ne pensais pas sérieux et qui commence à prendre une tournure qui me déplaît.

Ma Terre SainteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant