Prologue

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L'air du printemps a été remplacé par le souffle chaud du vent, passant entre nos jambes à chaque fois que nous courons dans les champs après les animaux s'étant enfuis. L'herbe est haute, le soleil brille de mille feux et au loin, au-delà de la forêt, l'océan effleure les falaises.

Je cours de toutes mes forces, poursuivant mon frère qui poursuit lui-même les vaches, dont les cloches résonnent de tous les côtés. Les paysans au loin se redressent de leur activité, nous observant d'un air amusé. J'entend leur rire lorsque Armand tombe dans l'herbe, disparaissant aussitôt à cause de la hauteur de celles-ci. Je pouffe discrètement, passant à toute vitesse à côté de lui, le blé s'agrippant dans mes cheveux, les coquelicots tâchant ma robe blanche.

"Attend moi!" je l'entend crier dans mon dos.

Je me retourne vers lui, riant.

"Tu es trop lent!"

Le vent fouette mes cheveux et je me remet à courir, tentant de rattraper les vaches qui partent dans toutes les directions. Quelques-unes s'arrêtent pour manger mais je les dépasse, les laissant à Armand qui continue de courir, son bâton levé au ciel.

"Léonor, vous avez encore laissé les vaches s'enfuir?!" j'entend subitement à ma droite.

Un paysan court dans notre direction, tenant son chapeau de paille qui tente de s'envoler. Je lui souris grandement, haussant les épaules. Je vois un immense sourire au bord de ses lèvres et il s'empresse de me suivre, contournant les premières.

L'herbe haute se fait rapidement envahir par les marécages et la boue des dernières pluies. J'attrape le bas de ma robe et commence à avancer, mes immenses bottes de fermière s'enfonçant dans la boue. Le paysan passe d'un autre côté, entourant les vaches qui s'étaient arrêtées.

"Je déteste quand elles fuient!" je lui dis, marchant doucement.

"Quand elles fuient?" j'entend mon frère dire, arrivant dans mon dos.

"- C'est exactement ce que j'ai dit.

- Attends, rappelles-moi quelque chose, qui a laissé la porte ouverte?

- Je l'ai fermé.

- Alors les vaches ont escaladé le portillon, une à une?

- Elles sont parfois surprenantes."

Le paysan rit aux éclats, amusé par notre discussion. Je m'avance de plus en plus doucement vers une vache et me penche pour la récupérer par sa corde. Seulement, alors qu'elle recommençait à fuir, je m'enfonce dans la boue et tombe subitement à la renverse, face contre terre.

Armand éclate de rire, ignorant complètement les animaux.

Je hurle de rage, enfonçant mes paumes dans la boue pour me relever.

"Je déteste ces vaches!" dis-je, me tournant vers mon frère.

"Léonor Brigman, tu es affreuse." me lance-t-il.

"Arrête de rire!"

Je m'assois, contemplant ma robe entièrement souillée. Maman va être furieuse, elle a mis énormément de temps à la coudre et je viens de l'abîmer en quelques secondes. Armand se tient devant moi, les mains posées sur ses hanches. Ses joues sont rouges à cause de notre course et ses cheveux sont complètement en désordre.

"Soit un gentleman et aide moi." je lui dis, levant mes mains.

"Maman va te tuer." me répond-t-il.

Il m'attrape et me soulève, m'extirpant de la boue. Debout, je ne peux m'empêcher de rire.

Oui, maman va réellement me tuer.


Nous rentrons lorsque le soleil commence à se coucher, entourant les vaches qui nous ont suivis sans un écart. Au loin, notre maison est illuminée par les derniers rayons du soleil. Quelques employés de notre père rangent les derniers outils, prêt à rentrer chez eux pour le dîner alors que d'autres ne cessent d'arpenter l'enclos de nos vaches, parlant entre eux.

Papa est au milieu d'eux et semble terriblement inquiet.

J'accélère légèrement le pas et me penche à côté de mon frère. Il me jette un rapide regard, observant la boue que j'ai tenté d'essuyer.

"Papa va te tuer." je lui dis, souriant.

" - Tu veux dire, nous tuer.

- Je n'étais pas supposé surveiller les vaches.

- Non mais c'est toi qui a oublié de fermer le portillon. Tu t'expliqueras avec lui.

- Je dois déjà m'expliquer avec maman. Chacun prend ses responsabilités.

- Génial, je peux donc aller me coucher tranquillement. Tu discuteras avec papa." dit-il en accélérant le pas.

"Armand, arrête!"

Il se retourne vers moi, un sourire espiègle et la langue tirée. Je frappe du pied, furieuse, et me lance à sa poursuite. Cependant, une forme au loin dans le jardin de mon père me fait ralentir. À côté de la grange, un carrosse doré est caché du soleil. Il ressemble à ces carrosses nobles, si luxueux qu'ils semblent intouchables. Du moins, nous ne pouvons les toucher.

Pourtant, mon père n'entretient pas de relations aussi prestigieuses. Ce n'est qu'un fermier, il ne connaît pas la noblesse.

Je m'avance en silence, examinant avec attention chaque détail du carrosse, jusqu'aux chevaux. Nos propres chevaux ne rivalisent pas avec leur beauté. D'un blanc éclatant, ils donnent l'impression d'avoir une crinière presque dorée. 

J'abandonne les vaches et m'approchent de ceux-ci, ignorant les appels de mon père qui grogne après Armand. Je l'entend même compter les vaches, s'assurant qu'elles sont toutes en vie.

Je m'essuie rapidement le visage de ma manche et me penche à côté des cheveux, observant les détails dorés des rênes. Jamais je n'ai vu quelque chose d'aussi beau.

Je les contourne, retiens mes mains lorsque le désir de les toucher devient trop grand. Je souris, essayant d'imaginer ce que ça ferait de devoir les monter.

"Est-ce que ça te plait?"

Je sursaute et me retourne brusquement, observant un homme vêtu d'une longue tunique bleue. Je m'accroupis immédiatement, les joues empourprées. Le prophète, le roi de notre monde selon les paroles des dieux, est présent dans notre ferme. Un rire s'échappe de ses lèvres tandis qu'il s'avance d'un pas, me détaillant du regard.

Je lève légèrement les yeux vers l'entrée de la maison, au loin. Des hommes discutent avec ma mère. Elle semble intimidée, lançant des regards répétés dans notre direction.

"Ils sont magnifiques." je finis par dire.

"Oui, ils le sont." confirme-t-il.

Il dépose sa main sous mon menton et me force à relever le visage dans sa direction. Je le vois étudier mon visage à travers les nombreuses traces de boue qui sont restées. Je rougis tandis qu'il sourit, amusé par cette vision.

"Est-ce que tu sais qui je suis?" me demande-t-il.

J'hoche la tête.

" - Vous êtes le prophète Hydrelin. Les dieux sont vos ancêtres.

- Tu m'as déjà vu au temple, n'est-ce pas?

- Oui monsieur, tous les matins." je lui réponds, tentant de cacher ma nervosité.

Il sourit.

"Est-ce que tu sais, que le chiffre vingt-et-un, est important dans notre religion?"

Je ne savais pas, à ce moment précis, que ma vie allait complètement changer. Et je n'y avais jamais pensé, pas même une seule seconde.

L'aube de la véritéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant