Cœurs enchaînés

Partie 4

Partie 4

Les rues du quartier étaient toujours aussi vivantes. Le bruit des voitures, les voix des hommes qui discutaient et les enfants qui jouaient n'étaient jamais loin. Mais pour Yassine, ces bruits n'avaient plus d'importance. Il ne les entendait plus. Tout ce qui comptait, c'était l'image d'Ihsene qui occupait sans cesse ses pensées. Un mois s'était écoulé depuis qu'il avait commencé ce jeu de regards silencieux avec elle, et il sentait qu'il n'arrivait plus à gérer cette tension. Chaque fois qu'il la croisait, quelque chose en lui se déchaînait, mais il n'osait rien dire, rien faire. Il avait l'impression de se perdre, et ça l'effrayait. Dans le quartier, il avait sa réputation, sa place. Il était respecté, craint, mais ce respect n'était plus suffisant. Il voulait plus. Il voulait elle. Mais comment franchir la frontière invisible qui les séparait ?

Yassine savait que ce qu'il ressentait était dangereux. Ihsene n'était pas une femme qu'on pouvait approcher comme ça, du moins pas dans ce milieu. Les hommes du quartier ne pardonnaient pas ce genre d'approche. Elle appartenait à un monde différent, un monde qu'il n'était pas censé fréquenter. Lui, un homme du quartier, un homme de son âge, mais aussi un homme qui avait fait des choix difficiles dans la vie. Il savait ce qu'il risquait à s'attacher à elle, à rêver d'elle. Mais pourtant, chaque jour, il la regardait, et chaque jour, il se sentait plus coupable de vouloir plus.

Ihsene, de son côté, vivait les choses de manière bien différente. Elle n'était pas dupe. Elle savait qu'il la regardait, mais elle ne comprenait pas pourquoi. Pourquoi lui ? Pourquoi un homme comme Yassine, celui que tout le monde respectait et redoutait, s'intéresserait à elle, une simple fille du quartier ? Elle l'avait vu avec ses amis, elle connaissait sa réputation. Il ne faisait pas dans les demi-mesures. Tout ce qu'il avait, il l'avait gagné avec son autorité, sa maîtrise du terrain. Elle n'était qu'une inconnue pour lui, mais ses regards semblaient tout dire. Ils étaient remplis de quelque chose qu'elle ne savait pas définir, un mélange de curiosité, de désir, et même de respect. Et pourtant, il n'avait jamais fait un seul pas vers elle. Jamais un mot, jamais un geste. Rien. Et ça la perturbait.

Un soir, après une journée où elle l'avait vu encore une fois, les yeux rivés sur elle, elle décida de lui rendre la pareille. Elle n'était pas une femme qui attendait que les hommes agissent. Si Yassine voulait jouer ce jeu, elle était prête à y prendre part. Après tout, elle n'avait rien à perdre. Elle savait que le respect que Yassine lui portait était aussi la clé de leur rencontre. Si lui ne voulait pas briser la glace, alors c'était à elle de le faire. Mais comment ? Comment franchir cette barrière qu'il avait mise entre eux ?

Elle attendit le moment propice. Le quartier était plus calme ce soir-là. Il n'y avait pas beaucoup de monde dehors, juste quelques hommes discutant autour de la voiture d'un ami, leurs voix basses mais pleines de vivacité. Yassine était là aussi, assis sur un banc, entouré des mêmes visages, des mêmes rires. Ses yeux parcouraient le quartier, mais il s'arrêta net lorsqu'il la remarqua. Elle était là, juste devant lui, à quelques mètres de distance. Il la regarda un instant, comme à son habitude, mais cette fois-ci, quelque chose était différent. Elle ne détourna pas les yeux. Elle ne fuyait pas ce regard, comme elle l'aurait fait d'habitude. Elle le soutint. Leurs regards se croisèrent. Les battements de son cœur s'intensifièrent. Il avait l'impression que le monde autour de lui s'était arrêté.

Ihsene ne dit rien, mais il y avait dans son regard un défi silencieux. Un défi qu'il savait impossible à ignorer. C'était comme si elle lui disait : "Je sais que tu me regardes. Je sais ce que tu veux. Mais tu ne me connais pas. Tu ne m'approches pas." C'était un message clair, mais qui n'avait pas besoin de mots. Et Yassine, pour la première fois, baissa les yeux. Il se leva lentement et s'éloigna, mais dans son esprit, c'était un combat qu'il venait de perdre. Il se demandait ce qui l'avait poussé à se retenir, à se détourner. Pourquoi avait-il choisi de partir alors qu'elle l'avait défié ainsi ?

Les jours suivants furent étrangement silencieux. Aucun d'eux ne chercha à briser l'équilibre fragile qu'ils avaient créé. Yassine observait toujours Ihsene, mais avec une certaine distance, une distance qu'il avait volontairement instaurée. Elle, de son côté, se sentait plus déterminée. Elle avait vu l'effet de son regard, et ça lui donnait un sentiment de pouvoir qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant. Elle savait que Yassine avait des sentiments pour elle, mais il n'oserait jamais les exprimer. Cela ne faisait que renforcer son propre désir. Mais ce désir était dangereux. Elle le savait. Ils ne pouvaient pas se laisser aller à ces émotions, pas dans ce quartier, pas dans cette vie.

Malgré cette prise de distance, leur jeu ne cessait de se développer, mais il était désormais teinté d'une certaine douleur. Chacun savait que quelque chose de plus profond se cachait derrière ces échanges silencieux, mais ils étaient incapables de l'admettre. Yassine, lui, savait qu'il était trop impliqué dans ce jeu pour en sortir sans dommage. Il était désormais pris au piège de ses propres sentiments. Mais il ne voulait pas céder. Pas comme ça. Il ne pouvait pas. Pas avec une femme comme elle, pas avec une femme qu'il ne pourrait jamais avoir. Le quartier, ses amis, tout l'empêchait de rêver d'elle. Pourtant, chaque jour, il se rapprochait un peu plus de cette frontière qu'il ne voulait pas franchir.